Django Unchained, vu le jour de sa sortie. Un film bien mais pas top.
Django Unchained, Quentin Tarantino, 2013.
Pitch et plot.
Django, esclave américain juste avant
la guerre de Sécession. Racheté par un bounty hunter allemand
improbable. Et il est pas content, donc il va aller retrouver sa
dulcinée et péter la gueule de tous ceux qui se mettent sur sa
route. Scénar' simple, pas trop prise de tête. Un seul sujet
traité : la place des ''nègres'' dans la société américaine du
XIXe (un brin caricaturée, ou du moins ultra-soulignée but whatever), par un western spaghetti
ultra-classique dans son déroulement, ultra-tarantinesque, bien sûr,
dans sa forme. L'histoire est pas piquée des vers ; et la
réalisation, soignée, ne dépasse pas le stade de la reproduction
plan par plan de ce qu'on attendrait de Tarantino. Aucune surprise ou
presque, un réalisateur qui garde un cap, qu'on apprécie ou pas.
Toujours l'attention pour la musique, symbole presque énervant de
son cinéma ; toujours la virtuosité pour filmer une bière fraîche ou un dialogue choc ; toujours l'utilisation du zoom ; toujours le
côté détaché de la violence artistique, ici mise en constante
opposition avec la ''violence non-légitime'' (en gros, on retombe
dans le classique, quand le gentil tue du Redneck, on applaudit ;
quand le redneck bute du noir, on pleure). Toutes ces qualités, aussi réelles qu'elles soient, sont aussi un peu classiques, surtout
après avoir atteint, à mes yeux, leur apogée dans Inglorious
Basterds, qui disposait d'une
réécriture de l'Histoire par le cinéma (et son côté exorcisation du réel par l'art) qui me semblait bien plus
pertinente que la mise en parallèle d'un mythe américain, le Western, avec
l'anti-mythe américain, l'esclavage. Question
scénario, pour terminer, une autre terrible faille, à mes yeux, et
sans doute à mes yeux seulement : j'ai toujours l'impression
qu'un film fleuve (celui-là fait quand même quelques deux heures et
quarante-cinq minutes) doit accepter de se laisser porter par sa
beauté pour que ça fonctionne – et ne pas tenter de se justifier
en permanence, d'accrocher le spectateur avec un nouveau
rebondissement, avec une nouvelle ''péripétie''. Quand je pense à
Il était une fois en Amérique,
aux Moissons du Ciel,
ou même, film qui ne joue pas dans la même cour, à
L'étrange histoire de Benjamin Button,
j'ai l'impression que ces fresques fonctionnent par ce qu'elles ne
sont pas basées sur un schéma narratif classique (situation
initiale – élément déclencheur – péripéties – résolution),
mais sur une logique plus picturale. On filme parce qu'il est beau
qu'on filme – et l'histoire, résolue ou pas, a peu à voir avec sa
qualité. Django Unchained,
et je vais commettre l'irréparable, est en cela raté parce qu'il
devient un film à péripéties. Ce
type de procédé avait atteint son apogée dans l'atrocement
décevant True Grit des
Cohen, qui ne fonctionnait que selon cette logique assez indigeste.
Django Unchained,
parce que c'est Tarantino, n'en est pas pour autant raté. Disposant de véritables qualités, il est aussi un peu décevant.
Les enjeux.
C'est l'autre pierre d'achoppement du
film. On peut trouver, comme c'est mon cas, les débats sur le mot
nègre et son utilisation
dans le film totalement débiles ; on peut refuser de tomber
dans ces joutes de politiquement correct absurdes. Mais le vrai
problème n'est pas de savoir si Tarantino est raciste ou pas,
personnellement j'ai eu l'impression que pendant trois heures, il me
hurlait au visage qu'il ne l'était pas mais peu importe, mais bien
de savoir ce qu'il fait de son sujet, l'esclavage. Déjà,
établissons dès le départ que Tarantino n'apporte jamais de
réflexion philosophique sur le monde ; dans Kill Bill
ou Inglorious..., dans
Reservoir Dogs ou
Jackie Brown, il propose un
regard, jamais un vrai discours ;
il propose un fantasme, jamais une réflexion profonde. Bref, déjà
s'attaquer à un sujet pareil avec ce passif est pas forcément
évident. Mais dans Django...,
justement parce que le réalisateur est conscient de ce risque lié à un sujet particulièrement sensible, et cette fois directement ancré dans un environnement états-unien, il en
fait des caisses. Des
caisses sur l'esclavage, sur le sale racisme texan, sur le marché de
la chair, sur le cynisme du blanc. Comme s'il avait peur qu'on prenne
parti pour le mauvais
camp. Est-ce à dire que le discours est entièrement sclérosé ?
Sans doute pas. Mais l'enchaînement de clichés devient très
agaçant : tout y passe, de l'Européen distingué opposé à
l'esclavage mais cynique au landlord
fan de phrénologie, du redneck débile aux organisations racistes tournées en dérision. Pfff, en l'écrivant, j'ai l'impression de balancer le
film aux ordures, alors qu'il ne devrait pas l'être : il reste
drôle, fun, sexy, violent, osé ; mais aussi parfois
caricatural, long, ampoulé, et un peu attendu. Il est les deux. Tout
dépend d'où on choisit de mettre la focale.
Mais,
là où il déçoit encore un peu plus à mes yeux, c'est une fois
constaté que l'ensemble des bonnes,
sinon très bonnes idées
du film sont déjà usées, et surtout reprises en flag' de
Inglorious Basterds.
Même veine, même ton grinçant, même logique. Mon Christoph Waltz
adoré, qui offre encore ici une performance magnifique, même si son
personnage est mille fois moins haïssable, et donc beaucoup moins
prenant que dans Inglorious...,
nous refait le coup de l'allemand polyglotte ; cool mais pas de
surprise. Les longues scènes de dialogue se terminant en boucherie ;
pareil, c'est du déjà vu dans le passé du réalisateur. L'accent
sudiste travaillé de DiCaprio ; Brad Pitt was here. La quête
de revanche historique incarné par le cinéma de Tarantino de
l'affranchi noir sur le dominateur blanc ; le parallèle avec la
''vengeance juive'' de Inglorious... est
clair et net. Les morts expéditives préfacées par une bonne
réplique ; déjà vues. Les gros plans pour annoncer la venue d'un personnage d'importance ou faire monter la pression pendant une scène ; pas de surprise là non plus, même si le procédé reste toujours aussi efficace.
Réalisorat et actorat.
Django... fonctionne quand même, et avant tout, parce qu'il est porté par des acteurs. Waltz est magique,
comme d'habitude. Mais comme je le soulignais, l'effet de surprise en
moins. Il reste un acteur central, magnifique, parfait dans toutes
ses phrases, toutes ses mimiques, tous ses déplacements. Chacune de
ses tirades est jouissive ; chacune de ses manières,
délectable. Foxx est... l'homme au bon endroit au bon moment. Il ne
crève jamais l'écran mais n'agace pas vraiment non plus ; il
est assez classique somme toute, sans fulgurance ni vrai défaut – ''ce qui est bien mais pas top'', comme le veut la formule consacrée.
DiCaprio est moins convaincant que dans ses meilleurs rôles, mais donne une performance tout à fait honnête. Samuel
L. Jackson, grand retour devant la caméra de Tarantino, est
impressionnant : physiquement d'abord ; par son jeu
ensuite, totalement à contre-emploi. Il s'y met corps et âme, et ça fait plaisir à voir. Ensuite, j'ai un doute quant à
savoir si ses insultes racistes resteront aussi célèbres que ses
discussions avec Vincent ou Louis dans les films précédents. Je ne me
prononcerais pas. Quant aux autres seconds rôles (le notaire, la soeur, etc.), je suis un peu plus réservé sur la qualité des performances proposées.
Alors, après avoir
assassiné le film en règle, que reste-t-il ? Pas grand chose.
Ou plutôt si, la présence d'un réalisateur ; d'idées,
parfois ; de virtuosité aussi. La première heure est
grandiose ; la dernière demi-heure est très bonne. Le tout
enrobé dans une grosse heure, au milieu, un brin pesante, pas
totalement convaincante, par endroits nécessaire. C'est ce qui est
déprimant : le moins bon des Tarantino vaut souvent le meilleur
de bien d'autres réalisateurs. Si celui-là me fait plus tiquer que
d'habitude, même s'il reste bien meilleur que Kill Bill vol. 1 et
surtout Boulevard de la Mort, c'est qu'il se perd dans un
discours politique pas totalement assumé ; pas totalement
travaillé ; pas totalement accepté par le réalisateur.
Que dire ?
Django Unchained reste un film plutôt appréciable. Un bon... film. Presque. Sans doute pas un
grand film. On en sort repus, mais pas totalement satisfait ;
avec des bons souvenirs, quand même.
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