mardi 21 janvier 2014

World War Série Z – Ou comment j’ai commencé à me prendre pour l’Odieux Connard.


World War Z, un réalisateur hollywoodien lambda, 2013.

J’avais eu une dure journée. Je me sentais pas de me mettre à du Henri-Georges Clouzot ou à commencer un film contemplatif de Terrence Malick. Donc, j’ai décidé de me mater un divertissement. Qui permette de mettre le cerveau sur off. Apparemment, les scénaristes aussi avaient eu une dure journée.

Pour ceux qui suivent : l’Odieux Connard est un blogueur arrogant, génial et un peu vain (exemple : http://odieuxconnard.wordpress.com/2011/01/29/lennui-des-morts-vivants/). Cet article (qui ne sera jamais à la hauteur du p'tit doigt de la cheville de trois lignes de l'OC) n’est qu’une pathétique conséquence indirecte de mes lectures bien trop régulières de son blog, et du fait que je n'ai rien publié depuis quatre mois. 

Pitch.
Une invasion de zombies qui calquent leur mode de vie sur Usain Bolt (« they don’t just run… they sprint ! ») à l’échelle planétaire se propage. De Philadelphie à Israël, en passant par le Pays de Galles, Brad Pitt tente d’arrêter le virus avec ses p’tits bras musclés et malgré son absence de diplômes, de quelque compétence ou légitimité que ce soit. 

Le genre du massacre.
Là, je sais ce que vous vous dites. Vous vous dites « ce mec doit être foncièrement atteint et/ou chômeur pour avoir maté un truc pareil un lundi soir » (c'est pas faux). Coupable d’avoir vu ce truc, coupable de lui accorder trop d’importance en écrivant dessus. Je suis Saint-Thomas. Je suis celui qui veut voir, je dois porter ces stigmates pour croire. C’est donc le cerveau troué que je peux écrire sur ce film. Pour paraphraser Saint Nicolas de l’Apostolat dans les saintes écritures, « Moi, World War Z, on m’avait dit ce qu’il valait, mais je l’ai vu. Heureux celui qui croit sans avoir vu ». C’est vrai que l’annonce de scénar’ tient sur un post-it déchiré, mais j’étais pourtant pas foncièrement pessimiste en commençant le film. Vraiment au tout début. Je me disais que le principe d’un film sur l’invasion de zombies comme mondialisation, ça pouvait être sympa, développer une critique du capitalisme mondialisé à outrance, ou au contraire de la progression du fascisme, ou alors une fable sociale sur la lourdeur du processus de paix israélo-palestinien. Mais en fait non

Avant de commencer, il faut que je précise à mon corps défendant que,  contrairement à ma nouvelle référence littéraire en la matière (voir lien ci-dessus), je suis un grand amateur de films de zombies. Un vrai nerd qui a passé des heures à planifier sa stratégie échappatoire en cas d’invasion zombie, qui voit dans ce fantasme la possibilité d’une rédemption, le fait de repartir à zéro, tout ça. C’est vrai que tout cela est un peu facile, surtout depuis qu’un certain Kirkman a rendu ses lettres de noblesse au genre, que ce genre de conneries se développent vitesse grand V. Que ça retombe toujours dans les mêmes eaux (aléas moraux, anarchisme débridé, personnages secondaires qui tombent comme des mouches). Mais j’aime le côté métaphorique débile du film de zombies, j’aime la critique de base de Romero qui l’amène à créer le genre, j’aime ce que ses suivants en ont fait (Rob Zombie le bien-nommé, et même dans une certaine mesure, le premier de Boyle, 28 heures plus tard), j’aime ce qu’ils montrent d’une société, et ce qu’ils en dénoncent. Ce ne sont que rarement des grands films, mais c’est mon plaisir coupable, une sorte de métaphore simple (ça c’est le truisme Romero, je sais, mais il est bon de le rappeler) sur le chaos, sur la société de consommation, sur l’atrocité de l’homme, sur les valeurs tradi, sur la religion, sur la survie. J’aime ce que les parodies de films de zombies leur font dire. J’aime beaucoup le fait que cela fasse désormais partie du paysage social, que ce mythe soit devenu commun, que cette anarchie moderne soit devenue une rengaine.

Je trouve ça surtout bien parce que c’est un genre de série Z, et qui se fout de la gueule de la série Z, et qui embrasse ses codes, et qui surligne ses enjeux, et qui enfoncent ses portes ouvertes. C’est tout le risque de ce genre de logique (exemple : c’est comme du Tarantino qui, quand il se fout trop de la gueule du monde, genre Boulevard de la Mort, en vient à devenir aussi mauvais que les films dont il est censé s’inspirer et qu’il est censé parodier). J’adore ça, et ça me vient d’abord pour la passion pour ce jeu vidéo ridicule et génial qu’était Resident Evil (rien que le titre, quand on y pense, est bien débile), qui embrassait complètement, qui avait poussé à bout, cette logique du survival métaphorique, à coups de grandes phrases débiles, de doublages extrêmement pauvres, de graphismes gores à souhaits, de coexistence entre une véritable peur et un mauvais goût abominable qui le rendait très sympathique.

Je vais même aller jusqu’à dire que le film de zombies était l’un des derniers genres cinématographiques qui appliquaient certaines règles théâtrales à la lettre : unité de temps, unité d’action, unité de lieu, unité du vocabulaire monosyllabique (« just… go… I… will just… slow you… down… », « Oh my God, John, the black man of our group, has been bit ! »). Qui lui confèrent un charme, une certaine aura. Qui en font toute la limite, évidemment. C’est ce jeu avec ces limites scénaristiques qui me font adorer les Zombie, REC, et Planet Terror. C’est un genre que je continue d’aimer. Enfin, je crois.

Le massacre du genre.
Un film de zombies a donc selon moi le droit, presque le devoir, d’être mauvais. Un peu. Pas trop. Ou savoir être bien mauvais, parce que oui, on peut faire un film mauvais avec grande élégance ou un film « élégant » avec très mauvais goût. Ce qui attire l’œil dans World War Z (WWZ, pour les intimes), c’est la nature du zombie en question : il est enragé (mais genre, beaucoup plus que d’habitude), il sprinte, donc, comme dans Zombieland, il n’a aucun sens de la survie (exemple : sauter de 89m de haut pour trouver sa pitance ne lui fait pas vraiment peur), il a l’air méchant. Bon déjà, avec un zombie pareil, on se doute que Brad Pitt va avoir pas mal de bol pour ne survivre ne serait-ce que trois minutes trente, surtout avec deux gamins, puis trois, sur les bras, au milieu de morts-vivants dopés à l’EPO, qui n’hésitent pas à te courir après à 8700, parce qu’à un contre un, c’est moins drôle. Mais à la limite, le concept pourrait être sympa, puisque ça pourrait rendre le film en mode « survie proie-gibier », puisque pas moyen d’arrêter 8700 personnes avec une pelle (j’ai essayé pour les manifestants Pro-Vie qui défilaient à Paris ce week-end. Ce fut un échec). Mais en fait non ! Qu’importe, Brad, un pied de biche à la main, n’hésite à dézinguer, à schlaguer du zombie à la pelle. Mais comme on n’est pas là pour avoir du film réaliste, pour la fable sociale on repassera, pour la mise en scène on retournera pleurer tranquillement dans sa chambre. Du coup, ce côté « zombie sous ecstasy » et qui arrivent par flots est, dans son concept, pas trop mauvais. Vous voyez, métaphore sur les mouvements de masse, réflexions sur les écrits de Wilhelm Reich, introspection sur le moi face à la peur du nombre, anéantissement des valeurs par l’idéologie, je le sentais pas trop mal.

2e idée (et dernière) du film : s’exporter à l’international. Faisant le tour du monde en deux jours, souvent, Brad arrive, jet-lagué comme il faut, et obtient une info tout à fait inintéressante qu’il aurait pu obtenir sans sacrifier 14 de ses p’tits copains dans l’aventure, genre en téléphonant ou en envoyant un fax. Puisque oui, pour apprendre que dalle, Brad fait 6000 km en vol plané, lui, il s’en bat les steaks. Ce qui est d’ailleurs fun, c’est que Brad, il bosse pour l’ONU, mais on sait pas ce qu’il fait. Il est pas médecin. Il est pas militaire. Il est pas humanitaire. Il est pas avocat, ni sculpteur, ni dentiste. Il est… heu… il est même pas genre « agent secret ». Il est « accompagnateur » de l’ONU (il fait pas un super job au départ, mais du coup, il devient le dernier espoir de l’humanité. Pas con, le gars). Et ouais. Et il faut qu’il trouve un remède à l’apocalypse zombie. Bon. Côté international, donc, qui a le mérite d’être (relativement) novateur. Jérusalem qui croule sous  les zombies, c’est quand même assez osé, dans l’idée. Mais juste dans l’idée.

« HOLLYWOOD WAS HERE ».
Ce film ne propose aucun sens, aucune morale, aucune action réellement bluffante. C’est vraiment un objet vide. Un film qui n’assume même pas ce qu’il est, qui tente de faire dans le grandiloquent alors qu’il n’a absolument rien à dire, ni sur le monde, ni sur la série Z, ni sur les zombies, ni sur rien du tout. Mais ce qui est pire, c’est qu’il se prend très, très au sérieux, et entre, bien plus que d’autres films post-apocalyptiques, dans des enjeux qui sont, en théorie, extrêmement politiques. Alors prenons l’exemple le plus marquant du film.

Quand, à Séoul, Jeannot dit à Brad que selon Michel, d’après les infos de Pedro, la personne qui sait d’où est parti le virus est un Israélien prénommé Stanislas, Brad paie donc une petite visite à l’État hébreu. Surprise ! Les Israéliens, « grâce » au mur qu’ils ont construit autour d’un « périmètre de sécurité » (le mur faisant à peu près 60 mètres de haut, histoire que les Palestiniens se fassent pas la courte-échelle pour passer) leur permet de survivre à l’attaque de zombies ! Magnifique ! En plus, ils l’ont renforcé en entendant une rumeur sur des zombies venue d’Inde (à ce moment, je me suis dit que Brad allait forcément aller dézinguer des habitants de New-Delhi, mais en fait non). Mais pourquoi eux l’ont su et pas les autres nations ? Là, on sent la polémique qui monte. On sent le propos géopolitique qui sous-tend l'action. On sent la prise de risques inconsidérés des scénaristes qui recevront bientôt un p'tit coup de fil de Manuel. Et là, Stan, Stanny, nous sort que c'est parce qu’Israël ne prend « aucun risque » et prend « toutes les rumeurs au sérieux ». Pourquoi ? Parce qu'attentats Munich, parce que guerre du Kippour, parce que 1933. Il parle avec une larme dans les yeux de la prévoyance israélienne et de son savoir faire qui lui permet de filtrer les gens pour que les zombies ne passent pas. Malin, le p’tit Stan ! Cependant, Stan déchante assez vite quand il se rend compte que des p’tits Palestiniens qui passaient par là (ah oui, parce que les zombies ont quand même le mérite de faire ce que Barack et John n’arrivent pas à faire, instaurer une paix au Proche-Orient) font de la musique un peu trop fort, et que le résultat, c’est que « Nuevo Jerusalem » est réduit en cendres par des hordes d’Ara… heu… de zombies. Et Brad, non sans avoir re-sacrifié quarante-cinq militaires de Tsahal qui passaient dans le coin, saute dans un avion, fort de l’information qu’il a glané (heu… qu’il faut construire des murs de 90 mètres de haut à Rhode Island, mais éviter que des p’tits cons mettent de la musique aux fenêtres), et finit par faire exploser une grenade dans cet avion, évidemment envahi d’infestés (si, si ! c’est possible). Bien, je n’irais pas plus loin sur l’histoire, c’est la même chose en boucle, mais dans des endroits différents.
Alors sérieusement, que nous dit une telle séquence ? Au-delà du côté, il faut le reconnaitre, original de la situation (et le fait que Tsahal, malgré ses discours, son professionnalisme et son opérabilité finisse tout de même par se faire démonter), le discours derrière est tout de même consternant. Si le film de zombies, au lieu d’être une farce grotesque ou un mélo introspectif sur la nature humaine finit par être une fable sur la bienfaisance du sécuritaire, de la paranoïa et de la démesure (désolé, Stan, j'étais très touché par ton discours, mais c’est tout de même ce que tu décris, parce que franchement, mettre les attentats de Munich sur le même plan qu’une invasion de zombies qui s’entraînent pour le marathon de Paris, c’est un peu bref), ça devient simplement consternant.

Mais l’amour et la vérité vaincront, à la fin. Et d’ailleurs, José, le petit mexicain récupéré au départ du film, est toujours là, donc le film est sauf, et la morale hollywoodienne aussi (à la fin, Brad nous dit : « battez-vous », et « aimez-vous les uns les autres ». Véridique).

La mort de la série Z.

Et Wilhelm Reich ?
Et Romero ?
Et un peu d’humour ?
Et un peu d’originalité ?
Heu… ba non, rien du tout. Ce qui est drôle, c’est qu’un film pareil montre que le blockbuster ne crée plus de genre, ne crée plus de codes, il fait une espèce de synthèse entre les genres qu'il exploite et ses propres codes, et finit pas détruire les deux. Ça a toujours été des films niais, bien débiles mais il faut reconnaître à Terminator ou à Matrix (le premier, hein) un certain goût, une certaine capacité américaine à construire un divertissement, certes décérébré, mais qui prétendait un peu à quelque chose, à un peu de cinéma, à un peu de mise en scène. Là, même pas. Le dernier machin avec Johnny Depp, Lone Ranger, a explosé en vol. Ce WWZ est un ramassis d’effets spéciaux et se veut sérieux, beaucoup trop sérieux. Alors bien sûr, on peut se dire (je l’ai entendu au moins huit ces dernières semaines) que les films de super-héros trustent les fonds hollywoodiens et envahissent nos écrans de manière insupportable. Mais quand on voit WWZ, on se demande si le monde hollywoodien serait tellement différent, sans les Avengers. On se dit que c’est ni une licence Marvel, ni les films d’animation qui pullulent qui pèsent sur le blockbuster, c’est l’absence de risques qui est centrale, c’est ce code moral, scénaristique, à respecter, et qui doit s’extraire de toute distance critique, ironique, farcesque, outrancière, même quand elle traite d’un genre comme le film de zombies. Ce qui me gave, c’est que Hollywood va même réussir à détruire la série Z.

Une grosse daube. Oui, j’enfonce des portes battantes. Évidemment, pas besoin de mater un film pareil pour le comprendre. Juste une piqûre de rappel.
Et surtout, n’oubliez pas ! Allez au cinéma !