jeudi 16 octobre 2014

Gone Girl – La Roche Tarpéïenne est proche du Capitole

Gone Girl, David Fincher, 2014.

Pitch.
Apparemment, Mr. et Mrs. Dunne s’aiment à New York, puis dans le Missouri. Puis elle disparaît.

Image.
Contrairement aux apparences, je ne suis pas un inconditionnel de Fincher. Je pense Alien3 original mais très inégal, Se7en (toujours) absolument génial, Panic Room mauvais voire très mauvais, The Game plutôt réussi sans l’être absolument, j’ai trouvé au Social Network quelques fulgurances mais aussi un vrai manque de créativité, et son Millenium de facture honnête mais sans aucun intérêt particulier. Reste Fight Club, et Benjamin Button, où l’on peut débattre, mais qui ont plutôt mes faveurs. La filmographie de Fincher est inégale, on sait le réalisateur obsessionnel, insupportable. Les acteurs ne voulant plus jamais tourner avec lui sont légions, et le force à renouveler, tout le temps, son casting. Mais il est un film dont on ne débat plus. Zodiac, que j’avais eu le plaisir de voir deux fois au cinéma, est un monument, un film qui étire les codes du genre, qui sait créer une atmosphère de dingue, qui étrille le spectateur et réussit à proposer une fable mélancolique sur un tueur à l’identité encore incertaine. Zodiac est une cathédrale de 2h30, qui prend le spectateur à contre-pied, qui filme – tellement bien – des acteurs majeurs des années 2000, et qui fait sortir le meilleur de Fincher. Le film n’a pas été assez apprécié par le public, notamment à cause de son côté lent et déceptif.

Gone Girl est de la même trempe. Peut-être pas au niveau, faute d’un scénario aussi précis que Zodiac, mais tente au moins de s’y élever. Fincher filme le récit entrelacé et impossible à démêler d’un couple d’Américains actuel, qui s’aime, s’écharpe et sombre. Le récit de base fait énormément penser à Revolutionary Road, et emprunte même certains de ses scènes, presque plagiées – la rencontre, l’amour, la chute – en les passant en accéléré. Le récit oscille sans cesse entre le présent, la disparition d’Amy Dunne, et le récit de cette relation fusionnelle, banale, hystérique.

La réalisation est impressionnante. Même avant d'être foncièrement convaincu par le film, j’y ai été happé, pris. L’ouverture est fabuleuse. Les critiques l’ont assez dit, mais il faut avouer que la photo est belle, vraiment belle. Elle colle à l’hyper réalisme (apparent) que le film propose, décodant les petites hypocrisies et les questions existentielles sur le couple en réussissant à filmer l’amour, l’ennui, la violence dans un couple moderne. La mise en scène est magistrale, le montage est un plaisir, l’image, en règle générale, est belle à crever. L’esthétique du film est parfaite, son rythme est très travaillé, sa bande son est dingue. Pas besoin que j'utilise plus de superlatifs (je n'en ai plus de toute façon), c'est très bon.

Acteurs.
2nde incroyable prouesse de ce film : Fincher arrive à rendre des acteurs médiocres magnifiques. Ou plutôt un acteur médiocre magnifique. Fucking Ben Affleck. Je pense qu’il est peu d’acteurs dans le monde que je méprise davantage que le bellâtre de Pearl Harbor et l’acteur raté de Daredevil. Et plus encore, on pourrait s’attendre à ce que Fincher en fasse « le rôle de sa vie », et se serve de lui comme Jolie dans L'Echange (atroce) ou Day Lewis dans There Will Be Blood (magnifique): dans les deux cas, c'est du rôle à Oscars, du rôle fait pour briller, et même quand c'est bien fait, ça peut rester un peu insupportable. Mais non, ici, nous sommes beaucoup plus proche de Malcom McDowell dans If… et Orange Mécanique, ou encore d'Adam Sandler dans Punch Drunk Love. Un rôle sur mesure, certes, mais qui ne semble jamais fait pour la gloire. Simplement pour le récit. Affleck est drôle, touchant dans le rôle de l’Américain moyen, violent, nul et charmeur. Il a relativement peu de liberté dans son jeu, c'est un fait, mais évolue sans jamais se foirer, reste crédible du début à la fin. Il joue aussi parfaitement son rôle profondément sexualisé, profondément ambigu, profondément strident. 

Rosamund Pike, que je n’avais jamais vue à l’écran, est assez convaincante, en femme mélancolique et délaissée. Parfois remuante (parfois). Je ne suis pourtant pas totalement conquis par sa performance – étonnamment – car je la trouve presque effacée par un second rôle… Ce qui ne m'arrive quasiment jamais. Carrie Coon est simplement dingue. Oh mon Dieu. Cette actrice inconnue – de théâtre – que je connais par son rôle dans The Leftovers, où elle joue une femme instable et paumée, m’a bluffé. Elle joue la sœur jumelle d’Affleck, emmenée avec lui dans les misères du récit et donne au film une touche très sombre, très grinçante. Elle incarne cette comédie noire. J’adore constater ce genre de trucs : trouver un second rôle qui est parfait. Vraiment, cette actrice m’étonne. Elle sait jouer dans tous les registres et réussit à avoir une présence incroyable à l'écran sans que la caméra ne s’intéresse foncièrement à elle. Carrie Coon. Parfaite.

Le reste du casting est plus banal. Neil Patrick Harris n’est jamais crédible, jamais bon, mais de toute façon, je n’attendais pas autre chose, ce mec est clairement un acteur médiocre. La flic est bien. Certains autres personnages (flics, journalistes) sont parfois un peu caricaturaux. Rien de bien grave.

Scénar’ et fond.
Qu’il est difficile de parler de ce film sans déflorer son scénario. C’est presque impossible. Je vais essayer. Le film se divise en deux. Une première partie, classique, fait dans le thriller de base, et est extrêmement excitante. Une seconde, plus invraisemblable, propose une fable plus féroce sur le couple, l’ennui, la manipulation et les médias de masses. J'aime énormément la première partie, toute en finesse, très efficace. Mais je dois avouer qu’une fois la sidération passée, la deuxième partie est tout aussi passionnante, sinon davantage.

C’est assez génial de la part de Fincher. Au lieu de te refaire un Se7en (thriller classique) ou un Zodiac (thriller déceptif), il te fait son twist (très, très attendu mais qu'importe) après 1h30 de film, et s’enflamme sur une histoire complètement à côté de la plaque. Mais son attention à déconstruire le couple et l’Amérique contemporaine survit à cette coupure brutale. Il s’en balance même. Il continue à tisser son récit au-delà de son scénario, presque. Il continue cette fable noire, railleuse, malgré ses invraisemblances. Il dépeint une Amérique vraiment laide, dépressive, gangrenée par ses classes intellectuelles, pourrie par ses pulsions animales, tuée par un rêve américain impossible à accomplir. Il dépeint une Amérique en carton pâte qui ne sait plus rien. Ben Affleck est génial dans ce rôle. Le type perdu, le pire et le meilleur des Américains. Lâche, fourbe, sexy et fun.

Le fond du film est tout de même très sombre, puisque ce qu’il nous dit, c’est que le regard (du public sur le privé) est ce qui fait et défait les vérités. C’est certes une réflexion classique, mais le réalisateur la pousse à un point qui est profondément dérangeant. Le média est ce qui nous condamne tout à la fois au cynisme, à la démocratie sale, à l’idéalisme gerbant, aux libertés dévoyées. Le média est ce qui fait et défait les femmes et les hommes. Le média est ce qui fait et défait les atroces vérités et les odieux mensonges. Toute cette critique là, bien qu’elle puisse sembler facile, est poussée tellement loin qu’elle en devient géniale – c’est d’ailleurs parce que le scénario est aussi caricatural que la critique peut aller aussi loin. C’est l’unique raison pour laquelle je pardonne toutes les errances du récit : l’histoire est tarée parce qu’elle doit amener à cette conclusion sur les médias, sur le couple, sur l’Amérique. C’est un coup de projo direct à la gueule du spectateur, aveuglé  « je devrais dire ébloui »  qui d’abord fout un peu la gerbe, et ensuite permet de voir la profondeur de ce putain de film.

Parce que oui, il m’a fallu presque 48 heures pour le réaliser. Gone Girl est un putain de film. 


Images en tension.
Gone Girl est un putain de film, parce que c’est comme votre cher et tendre (j’adore les métaphores sur le couple, ces derniers temps), ses défauts sont  doivent être  ses qualités. Il faut aimer ses travers, ses réflexes agaçants, ses manières de mentir, de se mentir, de se faire remarquer. C’est parce qu’il est attendu, charmeur, malin, sans concession, plein de raccourcis et de caricatures, que ce film est profondément puissant. C’est parce qu’il se tamponne – ou plutôt parce qu’il les détruit à coups de club de golf – des codes du thriller, des codes de la vraisemblance, parce qu’il rompt en permanence le contrat narratif, qu’il est génial.

D’abord parce qu’il propose une réflexion sur le rapport à l’autre, le couple, le sexe qui est extrêmement réjouissante. Il va même très loin dans la place de l’attirance au sein du couple, des relations sexuelles, celle du mensonge, du jeu de rôles, du besoin de se mentir à soi même et de mentir à l’autre pour garder vif, à vif, un couple à la dérive. Le regard qui s’introduit dans l’intimité de ce couple est génial, parce qu’il assume être tout à la fois dans le voyeurisme et dans l’analyse. Et c’est parce qu’il accepte ces deux dimensions que Fincher réussit à créer cette atmosphère malsaine et fascinante: un mélange entre cette sphère privée pleine de sueur, de sentiments brutaux et excitants avec la sphère publique aseptisée et donneuse de leçons. 

Et puis le cadeau, le vrai, c’est qu’une fois ce film vu, il demande à être revu. C’est une réflexion sur l’image et sa manipulation telle que je n’en avais plus vue depuis Caché. Rien que cette affiche. Non mais regardez-moi ça, c’est magnifique : les yeux fondus dans le paysage, la posture de Ben Affleck, et son corps qui se dissout dans l’image comme sur une chaîne hertzienne. Le film entier joue avec notre regard, et il est permis de penser que nombre de plans – de flashbacks, de récits heureux ou tragiques qui sont présentés tout au long du film – sont largement inventés ou fantasmés par les personnages. À la réflexion, l’on en vient à se dire que tout ce que l’on a vu dans le film est une tension dans un couple, où deux visions d'une même réalité s'affrontent, où nous sommes toujours dupés, parce que nous nous reposons sur l’image. Comme Zodiac, le film mérite certainement un deuxième visionnage. Je trouve qu’à la fin, il y a même du Bret Easton Ellis dans la volonté de rompre avec les codes narratifs, de revenir en arrière dans l’histoire, de donner une fin absurde à un récit absurde. C’est le même principe que dans le bouquin Les Lois de l’Attraction, une réflexion sur la perception de la réalité en la déformant, en la caricaturant, en l’analysant pixel par pixel ; et vient pour finir s'imposer la froideur humaine qui supplante tout, qui sublime tout, qui se suffit à elle-même. C’est sans doute trop cérébral, mais c’est vraiment très, très beau.

Gone Girl est certainement un film imparfait, mais il est foncièrement passionnant. Passionnant, je vous dis.

vendredi 3 octobre 2014

Sin City: A Dame to Kill For – Lorsque ton passé t'appelle, ne réponds rien, il n'a rien de nouveau à te dire

Sin City : A Dame to Kill For, 2014, Frank Miller & Robert Rodriguez.

Cela me fait tellement de mal de commencer cette critique. Neuf ans d’attente, plus ou moins circonspecte, certes, mais pour une telle déception. J’aurais tellement voulu aimer ce film, même au 3e degré, même de manière aussi irrationnelle que Fight Club, même 10 ans plus tard, même seul contre tous… Mettons-nous d’accord : je ne déteste pas le film, mais je l’aime pas non plus. Sin City : A Dame to Kill For, ou Sin City 2, est un ratage, pas complet, pas total. Juste un film raté. 


Pitch.
Basin City, toujours. Mêmes personnages, ou presque. Marv continue à briser des crânes, Bruce Willis et Jessica Alba font du fan service par une resucée de leur histoire de deuil et de vengeance. Le joueur Joseph Gordon-Levitt arrive en ville. Et Dwight, ô pauvre Dwight, est rejoint son amour atroce, Ava Lord, jouée par l’immense Eva Green. Ah oui, et Ray Liotta joue deux minutes dans le film aussi.


Réalisation.
Pour comprendre la sidération qui fut la mienne en voyant Sin City : A Dame to Kill For, il faut se mettre dans le contexte. Pour moi, Sin City – comme œuvre graphique puis comme film – est un chef d’œuvre. Le film, bien sûr, est un monument de beauté noire. Les comics, surtout, sont un sommet d’art graphique, de roman noir, d’histoires qui puent l’alcool et la prostitution et la morale tantôt nihiliste, tantôt réactionnaire. Je me souviens encore, lorsque l’on m’a offert le comics A Dame to Kill For – censé être le récit central du film donc théoriquement génial – les frissons ressentis alors. Dans cette histoire sombre, que le film premier du nom n’avait pas abordée, je me souviens que j’avais trouvé que c’était – de loin – l’histoire la plus dramatique, la plus subtile, la plus belle, que Frank Miller nous ait proposée. C’était une œuvre de violence sourde, un histoire de schizophrénie, une tragédie sur l’amour perdu, sur la violence des sentiments. C’était une putain de claque. Dwight – interprété par Clive Owen avant, par Josh Brolin maintenant, si vous suivez – était un homme épris, un type perdu, aux abois. Il sombrait. Je me souviens d’avoir lu cette œuvre avec une fascination d’enfant, avec la conscience de la simplicité – et non pas de la faiblesse, ce qui fait toute la différence – de ces romans noirs très basiques. C’était cette simplicité qui faisait le cœur, le charme, de ces personnages caricaturaux, de ces personnages dantesques. Sin City, c’était ça, une œuvre populaire impressionnante, belle, simple, simpliste.

Robert Rodriguez vient nous rappeler à quel point il est un médiocre réalisateur. Je pense qu’il y prend même du plaisir. Il vient nous cracher à la gueule que Sin City 1 était un accident, et que Desperados 2 ne l’était pas. Il vient nous dire que Machete Kills Again, c’est ça, son style. Il reprend, mais avec la finesse d’une grue de démolition, les personnages et les histoires laissées pour mortes dans le premier opus, et enchaînent à la tronçonneuse des plans graphiques et des répliques – j’allais dire de série B, mais nous en sommes trop loin… de séries… pffff, de la telenovela mexicaine, pour vous dire à quel point c’est absurde – qui sont certes des copies de leurs modèles, mais en reste tellement éloignées. Le montage est un massacre pur et simple. Quiconque n’a pas lu les comics ne peut rien suivre, rien apprécier, rien comprendre ; quiconque les a lus est frustré, se tortille sur son siège. Les images se suivent, les scénarios aussi, c’est très faible. 

Pourtant, Rodriguez a cette patte. Cette petite virtuosité. Certains plans sont magiques. Certaines scènes sont belles. Eva Green, que j’aime tant, est corps et âme à l’écran, malgré des répliques maladroites et sans le supplément d'âme qu'il leur faudrait, et se donne physiquement au film. Elle est splendide. Jessica Alba, dont je ne suis pas un adorateur éperdu, est bien meilleure que dans le premier opus. Elle est même très forte. Tous les autres acteurs – Rourke, Gordon-Levitt, Brolin, ou même Willis et Liotta, quand bien même ils sont plus figurants qu’acteurs – respectent leur contrat honorablement. Ils sont (plutôt) bons, ne loupent pas grand-chose. Et pourtant, ça ne prend jamais. Dans l’absolu, le film fourmille d’idées. De style, en réalité. Le jeu du clair/obscur et des couleurs – même attendu – reste plaisant. Rodriguez sait filmer des corps, des tronches, des caricatures. Il le fait bien, il sait filmer le glamour, le sensuel, le sexuel, le glauque. Il sait filmer la violence. Quelques plans laissent pantois : Gordon-Levitt cognant un adversaire en ombre sur un mur de ruelle ; Alba se repliant en position fœtale ; toutes les planches issues du comics A Dame to Kill For restent magnifiques. Donc (un peu) gâchées, c’est ça le pire. Car la réalisation est d’une fadeur qui fait peur. Les seuls plans grandioses sont ceux qui sont directement issus d’un travail que l’on devine manuel, de dessins que l’on sait ou imagine reproduits à l’écran. Là, la magie opère, encore, un peu. Mais le scénario, les circonstances du film, viennent gâcher toutes ces intentions et le ramènent au statut d’œuvre mineure, trop mineure.

La 3D est… minable. Vraiment, depuis l’abominable Alice au Pays des Merveilles de Burton, je n’avais pas ressenti un tel scepticisme à l’égard de cette technique. C’est gadget, c’est inutile, c’est presque agaçant.

Pour finir, j’ai trouvé la bande son pathétique. Attendue. Inadéquate. Jamais enivrante, jamais surprenante.

Le rythme du film, j’y reviens, est extrêmement bâtard. Les plans s’enchaînent comme des planches de BD, mais c’est un film, bordel, cela demande un autre souffle, un autre rythme, une autre envie. Ici, tout est condensé, accéléré. Et puis enfin, le montage à la Pulp Fiction, ça va, on a vu et revu. Il faut que ce soit bien fait. Ici, c’est tellement artificiel, tellement en retard… Comme si rien n’avait existé entre le premier et le second opus. Ou pire, comme si le réalisateur avait régressé. C’est vraiment triste de vouloir – tellement – apprécier un film, et d’être constamment baffé par le réalisateur, par sa paresse, par son style ampoulé, par ce décalage permanent vers le mauvais goût.


Scénarios.
Si la réalisation – le montage surtout – est bâclée, que dire des « scénarios » du film ? Sin City trouvait un équilibre dans les histoires suivantes (si, si, souvenez-vous) :
Introduction par le tueur à gages.
Hartigan Partie 1.
Marv.
Dwight.
Hartigan Partie 2.
Conclusion par le tueur à gages.

Sans déflorer le film, disons qu’ici, l’articulation des scénarios est complètement débile. À la limite, le premier opus se permettait des libertés de scénarios, jouait avec le temps, croisait les chemins et les actions. Mais ici, c’est un assemblage d’histoires, c’est vraiment du copier-coller, c’est dégueulasse au possible. Mais qu’importe au fond : l’important dans Pulp Fiction n’est peut-être pas foncièrement l’articulation du récit, mais sa qualité, son rythme, les réponses des événements les uns aux autres. Que l’histoire se passe chronologiquement ou pas, qu’importe, pourvu qu’il y ait l’ivresse.

Le scénario de Dwight, je l’ai mentionné, a été détruit, bâclé, violé. La plus belle histoire de Sin City est ratée à l’écran. Pas totalement. Juste assez pour m'énerver. C’en est triste. Le scénario de Marv fait du fan service inutile. Le scénario de Jessica Alba, bien qu’attendu de la première à la dernière minute, s’en sort encore le mieux. Le scénario du perso de Gordon-Levitt, écrit pour l’occasion – comme les deux précédents d’ailleurs, montrant le cynisme sans bornes de Miller mais bref  est pas trop mal, plutôt sympa, sans plus. Pourquoi ne pas reprendre les scénars des comics existants ? Par fan service, certainement. Pourquoi ne pas avoir davantage travaillé ces scénars inédits ? Pourquoi ne pas avoir adapté L’Enfer en Retour, certainement le comics – même si ce n’est pas mon préféré – le plus abouti de la saga ? Tout cela est mystérieux pour l’immense fan de Sin City que je suis.

Et puis voilà, on vient nous dire toutes les trois secondes : « vous avez vu, c’est comme dans le premier ! On reprend les répliques, parfois au mot près, tout ça ». Putain, mais arrête de le dire, de le souligner, de le surligner, et fais-le ! Montre-le ! Filme-le ! Ecris-le ! Ne reprends pas les phrases bateaux du précédent, et invente, innove, ou même pas d’ailleurs, juste ressers-moi du bon, et pas du réchauffé.

Mais pire, le film est tout aussi brouillon et faible pour n’importe quel néophyte. Je pense que ce n’est pas que parce que je suis un fan de l’œuvre que je suis déçu par ce film. Simplement qu’il est, de toute façon, quel que soit l’angle adopté, décevant. Il joue la carte de la série Z à 800%, et ne touche jamais sa cible. Il enchaîne les situations, les répliques attendues – ou pas, peu importe –, montre ses muscles, fait dans la redite… c’est dur. Très dur.

Mes camarades de visionnage ont reproché au film d’être trop violent. Je n’ai pas trouvé que cela était vraiment dommageable. Non, il est inabouti, surtout. Ultra-violent ou pas, peu importait.

Le pire, c’est que je savais ce que j’allais voir. Je savais que Miller allait me resservir le même plat. Mais bon. J’attendais, au moins, un peu de saveur, de regoûter, un peu, du passé.

Après, j’en fais beaucoup, peut-être parce que mon attente était, même avec mes craintes initiales, assez forte. Le film se regarde, entendons-nous, peut faire encore frémir, rire, peut-être émouvoir.


Film noir et série Z.
Ce qui m’énerve d’autant plus, c’est que je continue d’aimer le film noir, et même les parodies de film noir. J’aime la caricature du film. J’aime même ce film, dans la théorie. Je ne suis absolument pas dérangé par le fait que toutes les femmes du film soient habillées de la manière la plus sexuelle et la plus caricaturale qui soit. Je ne suis pas gêné par les clichés permanents sur les hommes violents ou la morale cynique du film. Je ne suis pas gêné par les rires gras de méchants des méchants. Je ne suis pas gêné, j’aime même, les intonations surjouées d’Eva Green et cette présence oppressante, sexuelle – assumée comme telle par le réalisateur. Je ne suis pas gêné par le sexisme ambiant du film. Je ne suis pas gêné par la beaufitude ambiante du film. C’est même d’ailleurs cela qui pourrait être réussi. Faire du beau avec du laid. Faire du médiocre le réceptacle de la beauté graphique, physique, scénaristique. Rester dans du simple, du simplisme, du débile, et sortir la moelle, la vigueur, la beauté de cette simplicité. C’est le côté réac’ de Miller que j’aime dans ses comics. Faire de la caricature une couleur de la beauté.

Mais ici, c’est simplement faible, très faible. Rien n’est pensé. Tout semble tourné à la va-vite, sans réflexion. Les scénarios semblent vite écrits, vite tournés, vite montés. Cela n’enlève, là non plus, rien à l’intention du film. Quelques bonnes surprises restent, encore une fois, tout n’est pas à jeter : certains twists sont bien faits, certaines chorégraphies sont agréables à voir, certains récits, même simples, sont efficaces. Mais c’est tellement loin de l’objectif, le résultat reste décevant, ne capte jamais la magie de son modèle. Il faut peut-être que j’arrête d’aller voir des adaptations d’œuvres littéraires ou para-littéraires au cinéma.

Le seul argument que je pourrais me voir opposer est que je prends le film au premier degré, quand il devrait l’être au 10e. Mais Sin City n’est pas Machete. Il doit être plus beau, plus esthétique, plus profond qu’une simple série Z. C’est même l’inverse. Ça devrait être en apparence une série Z, et en réalité un chef d’œuvre. Comme le premier.


Conclusion logique : Sin City 2, c’est comme une ex.
Pour rester dans le thème du sexisme dans lequel le film se complaît avec toute la finesse du monde, disons que Sin City 2  me fait le même effet que de revoir une de mes ex. La personne que l’on a aimé n’existe parfois plus, et c’est ça le plus dur. Que les gens changent, que les gens vous déçoivent, c’est une chose. Mais non, ce qui est le plus difficile, c’est d’accepter que la personne en face de vous, celle que vous pensez connaître, n’existe plus, qu’elle n’est plus celle que vous avez aimée, qui vous a remué, qui vous a touché. Je ne reproche pas à Sin City 2 d’avoir « changé » ou d’être resté le même, il me rappelle simplement ce que je ne suis plus, et ce que ce film n’est plus tout à fait. Un film où un blockbuster pouvait aussi être une claque, et pas seulement visuelle. Un film où la violence pouvait encore être sourde. Un film où surligner toutes les répliques, où ventiler tous les clichés possibles était utilisé à bon escient.

Sin City 2, c’est le passé qui vient vous dire qu’il n'est plus. Et qu’il est vain de vouloir s’y replonger avec des attentes présentes. Ce n’est pas non plus désagréable. C’est la disparition d’une certaine nostalgie. Et ce n’est pas que pénible.

Sin City 2, malgré tout, est un aboutissement, comme une rupture qui n’a jamais été formulée. Il fait du bien, aussi, parce qu’il permet de prendre du recul, parce qu’il est assez innocent pour être touchant ; parce qu’il est assez médiocre pour passer à autre chose. Pour en parler au passé.

jeudi 21 août 2014

La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Au bout du conte, Agnès Jaoui, 2013.

Je n'écris quasiment plus ici ces derniers temps. Simplement parce que je vois assez peu de films.


Pitch.
Film (un peu) chorale avec pour toile de fond la « critique constructive » des mythes romantiques (entendre « romantique » dans le sens débile de fleur bleue) par une variation sur le thème de Cendrillon. Autour d'elle, une tante bohème, un beau-papa blasé (joué par Bacri, si, si, je vous jure), un maléfique mé(ga)lomane, une roturière en mal d’amour, dans un Paris bourgeois à en crever.

Contexte et réalisation.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai envie de m'attarder d'abord sur la forme du film, et rien qu'elle. J'ai reparlé récemment de certains films de l'ex-couple Bacri/Jaoui avec des amis, et je me rends à chaque fois compte à quel point je les aime (Cuisine et dépendances, Un air de famille, Le goût des autres), et à quel point ils sont si injustement méconnus par ma génération. Ces trois seuls films devraient être les Rohmer de ma génération, c'est-à-dire des films pas forcément incontournables, mais cultes, marquants, énervants par certains côtés, et que l'on peut revoir cinq, dix, vingt fois. Ils sont étonnants de justesse par la peinture précise et jouissive qu'ils offrent des relations sociales, familiales, amicales, amoureuses. Ils forcent le respect par la douceur avec laquelle ils abordent des thèmes très difficiles (la violence de la Culture, la hiérarchisation dans les familles, les échecs personnels et les retrouvailles impossibles). Et hormis Le goût des autres, la force - énorme - de ces récits n'est pas nécessairement, à mes yeux, la place donnée au dialogue (qui est certes parfaite) mais plutôt la grande cohésion et cohérence de ces pièces de théâtre. Parce qu'elles sont des pièces de théâtre, elles sont extrêmement simples en termes de mise en scène (« épurées » comme dirait un type des Inrocks), et donc doivent être parfaites dans leur rythme, leur humour, leur récit pour accrocher le spectateur. Ce qu’elles sont. C'est d'ailleurs pour cela qu'on leur pardonne de ne pas être du cinéma, mais du théâtre filmé - l'expression est peut-être impropre, je devrais dire ces « films de théâtre », plutôt. Alors pourtant, dans Le goût des autres, la caméra suit les personnages, à l’extérieur, évoluant dans des espaces différents, et je n'en ai aucun mauvais souvenir. Au contraire. Cela servait bien le récit, notamment pour mettre en exergue les rapports de « classes » entre Bacri et le monde artiste qui le rejette. Et la réalisation suivait. C’était sans doute pas du P.T. Anderson, mais c’était honnête, c’était plutôt beau.

Dans Au bout du conte, j'ai vraiment été frappé par la mauvaise réalisation du film. Ou plutôt par la réalisation paresseuse. C'est assez mal filmé, les quelques idées de mise en scène (caméra en dehors de la voiture, scène filmée de l'autre côté de la rue) sont attendues au possible et font presque film amateur. C'est pauvre aussi en termes de rythme, les quelques moments qui font explicitement référence à des contes sont ridicules (la scène d'ouverture est crasseuse) – et c'est sans doute à dessein, mais cela n'enlève rien à l'argument ! Il est possible et même nécessaire de bien filmer le médiocre ou le vulgaire, c'est d'ailleurs pour cela que c'est intéressant. Pour terminer le tableau, je trouve le montage raté- mais alors carrément raté - et c'est pourtant le genre de trucs que je relève pas souvent au cinéma. Au point que l'on s'y perd dans le récit, que l'on ne comprend pas les liens entre les personnages, et que l'on s'accroche pour comprendre le fond du propos. Je dois reconnaître que la bande originale est réussie (mais tu prends du Tchaïkovski, c'est pas non plus le risque de l'année). Partout, les scènes filmées en extérieur sonnent faux, ou plutôt, sont  injustifiées. Cela dit, c'est pas non plus désagréable à voir en tant que tel, on ne s'arrache pas les yeux devant, c'est simplement une constatation difficile pour moi qui voue un véritable culte à Jaoui et Bacri, malgré leurs (nombreuses) errances. Ici, c’est clair. Ils
sont tous deux auteurs, mais c'est un fait, Jaoui n’est définitivement pas une réalisatrice intéressante.


Le fond.
Je m'attardais sur la mise en scène parce qu'il me semble que c'est elle qui dessert le récit et fait passer le film d'un statut potentiel de film d'auteur à celui de petit film français sympatoche. Car le fond finit par rejoindre cette forme un peu vite faite, un peu facile, assez peu créative. Pourtant, ça commence vraiment pas mal, une fois la scène d'intro passée. Malgré un récit foutraque, on arrive rapidement sur les situations typiques des Jaoui/Bacri : rencontres entre milieux sociaux, dialogues à mourir de rire, répliques magiques (Bacri en sort par douzaine. « C'est chiant, les enfants, c'est vrai, quand on regarde ça à plat » ; « Nan mais, arrêtez de parler, moi, le code moral des voyantes, vraiment, j'en ai rien à foutre, alors ça » ; « Qu'est-ce qu'on fait, là ? Bah on s'emmerde »). Ils ont une vraie patte pour créer des situations attachantes, des personnages ambigus, représenter les idéalistes insupportables et les cyniques invivables, les bourges complètement déphasés et les marginaux destroys, et puis, ils parviennent réellement à tisser un des récits les plus cyniques que j'ai vu depuis un bail. Je dirais même qu'ils arrivent à le faire sans trop de manichéisme, avec une tendresse, une douceur. C'est facile, mais c'est efficace. On te prend Cendrillon, on te la tord dans tous les sens, et on te la jette sur le trottoir. Cette manière de cracher sur les codes narratifs, de détruire à coups de pelle les mythes du coup de foudre ou de l'amour éternel est évidemment simple, mais n'en reste pas moins extrêmement jouissive. En outre, le film parvient à proposer quelques réflexions qui détonnent - notamment sur le rapport entre les parents d'élèves et l'institution scolaire, où, j'étais non seulement mort de rire mais j'ai retrouvé de réelles scènes vécues par mes parents, notamment quand la principale apprend que le couple d'une petite un peu mise à l'écart est divorcé. Mon père avait vécu à peu près la même chose, quand une employée municipale renouvelait ses papiers d'identité, et avait eu l'incroyable culot de lui sortir: "et vous êtes séparé, en plus?". C'est génial de réussir à montrer ce petit rien de mépris absolu, qui veut tout, tout dire. L'utilisation du conte en tant que tel est plus inégale. Certaines références sont parfaites (le réveil de la Belle au Bois Dormant tient, selon moi, du génie pur) ; d'autres sont très mauvaises, voire détestables (la perte de la chaussure est pathétique ; la scène de « l’amour à Paris » est vraiment dégueulasse).
Le parti pris de l'univers de conte touche donc dans le même temps ses forces et ses limites. Il permet aux auteurs plein de raccourcis (on se rencontre, on s'aime, on se détruit) et autorise Jaoui à ne pas prendre de gants, et donc à avancer rapidement dans le récit et de proposer un vrai discours sur "la rencontre". Mais dans le même temps, elle se permet d'accumuler des clichés vraiment laids (la grosse bourgeoise est évidemment refaite et horrible – "mais c'est paske c'est la marâtre" ; le personnage principal est compositeur de musique classique déconstructionniste pour orchestre à cordes à 23 ans, bah oui, facile – "mais c’est paske c’est le héros"), et d'opérer nombre de raccourcis qui desservent le récit. Elle s'autorise des turpitudes qu’elle reproche à autrui ou prétend parodier (la médiocrité, la superficialité, la caricature). Elle mine son propre propos par la surenchère humoristique, et surtout par une absence de cohérence de fond du scénario, du montage, de la réalisation en elle-même. C'est là le principal reproche que j'ai à faire au film.

Je suis pas clair, donc exemple : à la fin du film, le héros est tiraillé entre deux femmes (en gros, le mythe et la réalité, la blonde et la brune). En parallèle, le personnage de Jaoui organise un spectacle pour enfants sur le thème de Blanche-Neige (ou autre héroïne pareillement flasque). Les deux scènes se déroulent en même temps. Au moment du baiser entre le prince et Blanche-Neige, la gamine sur scène refuse d’embrasser le prince. A l’instar du héros et de l’héroïne, qui ne le font pas non plus - et c'est même triste  - pathétique même, mais cette fois dans le bon sens du terme - à en pleurer. Je trouve que l’idée est plutôt brillante, correspond tout à fait à du Bacri/Jaoui. On te prend une situation de départ classique, on t’y insuffle un brin de cynisme et beaucoup de réalisme, et on te laisse sur ta faim. Ce que tu attends du film ne vient jamais, et c’est vraiment pas mal. Sauf que là, une minute plus tard, le gamin qui joue le prince (je pense que plus aucun lecteur ne suit ma pensée à cet instant) se retrouve en coulisses, et une autre gamine vient lui prendre la main. Et c’est directement répercuté à l’écran pour notre héros, qui retrouve la 2nde jeune femme. Et là, pour moi, il y a ou bien un problème de scénario, ou bien un problème de mise en scène. Parce que la scène joue sur ce qu’on attend du cinéma et qui n'arrive jamais (et ne devrait pas arriver): c'est-à-dire les retrouvailles amoureuses entre le héros et l’héroïne. Principe : on nous crache à la gueule ; puis on remplace ce sentiment d'inaccompli - génial - par une autre scène de retrouvaille amoureuse finalement aussi attendue que la première et finalement aussi conformiste que la première, que l’on a bâché par prétendu anticonformisme, justement. Alors, sur le fond, pour ceux qui auront vu le film, c’est compréhensible – et justifié en termes d’intrigue. Mais c’est le fond du procédé qui me semble contestable : je trouve que le décalage entre cette volonté de casser les codes, et le retour permanent à ceux-ci est symptomatique du film. Il tente d’être une parodie critique, un truc acerbe, et se retrouve à faire exactement la même chose que les ficelles narratives qu’il dénonce…

Reste les dialogues. Et des acteurs que l’on ne peut qu’aimer.


A la mémoire d'avant.
Malgré tout ça, j’ai quand même passé un moment intéressant. C'est le film du "quand même", du "malgré tout". On apprécie "quand bien même", parce que c'est eux. Parce qu'on se bidonne plein de fois devant le film. Parce que les dialogues sont excellents. Parce que les acteurs en général sont plutôt pas mal et que Jaoui et Bacri sont toujours parfaits. Parce qu’on ne capte pas tout, qu’on a de la place pour l’interprétation. Parce que même s’ils vivent vraiment dans leur monde (très bourge, finalement, très à part), ça tient à peu près le choc du réel. Parce qu’on se dit que ces gens ont un vrai talent pour dépeindre les relations humaines, pour les écrire surtout. 

Je les défonce pendant toute cette critique et pourtant, qu'est-ce que je les aime. Et c'est quand je me souviens de ce qu'ils ont fait que je continue à aimer ce qu'ils font. C'est un jeu dangereux, qui amène les uns à saluer des Woody Allen à la chaîne alors qu'ils sont de plus en plus mauvais. Pour eux deux, je pourrais le faire - un tout petit peu - par nostalgie et par amour de leur passé.

Il me tarde de revoir leurs petits et grands films, avec exigence et avec bienveillance. Il me tarde de réentendre les saillies de Bacri devant la médiocrité ambiante ("Vous me laissez tout seul, avec eux? J'ai rien à leur dire moi ! J'veux bien meubler, on passe sa vie à meubler. Mais pour dire quoi ? Je comprends même pas ce qui me dit, ce type !"), de Jaoui ("Si je suis fatiguée? Heu... Je frise le coma") et de Darroussin, ô combien absent ici ("J'ai lu un truc incroyable aujourd'hui patron, j'crois que ça peut vous aider. Ah, voilà: "profondes sont nos souffrances", lui dit-elle...").

Ce qui est marrant, c'est que même moyens (voire très moyens), Bacri et Jaoui sont grands, parce qu'ils aiment le théâtre, et que c'est devenu plutôt rare au cinéma.

Tudy

jeudi 17 avril 2014

La Marche d’Après – Considérations sur le malheur français

La Marche d’Après, 2014, Le Bras, Hume-Ferkatajdi,  Roxo.
Il va m’être très difficile d’être objectif sur ce documentaire, dans la mesure où il a été réalisé par un de mes potes (entre autres). Mais le mix entre une profonde sympathie pour les trois réalisateurs, et une exigence d’autant plus forte envers eux devrait (je dis bien « devrait ») ramener un certain équilibre dans cette critique. Pas sûr.

Pitch & poutch.
Documentaire au format classique, sous-titré 30 ans de lutte pour l’égalité, qui retrace les origines de « la Marche des Beurs » de 1983, et propose une analyse engagée des conséquences politiques et des suites de cet événement qu’on a, il est vrai, plutôt oublié.

Feel Good Incorporation.
C’est la trame de cette critique, et c’est ce qui m’amènera à la fois à saluer très sincèrement la qualité de ce travail, et à la fois à lui rentrer dedans joyeusement (et j’espère pas trop méchamment) : La Marche d’Après est clairement un Feel Good Movie (enfin Documentaire mais c'est pareil). 

J’vais donc donner le ton : Flaubert parlait de « ratatouille sentimentale » en parlant de sa première version de L’Éducation sentimentale, écrit à la vingtaine (à la fois j’suis quand même trop mignon, j’compare les réalisateurs à Flaubert).

Ici, c’est un peu pareil. C’est un putain de beau projet, plein de bonnes intentions, qui a certainement demandé des heures de boulot, de recherches de financements, de questions, d'hésitations, et qui ne dévie jamais de sa ligne fixe, réaliser un documentaire engagé sur l’intégration des générations « issues de l’immigration ». Mais à la fin, des cyniques comme moi ressentent à la fois un sentiment de très grande sympathie envers les « personnages » (car certains sont vraiment des personnages) du documentaire et leurs propos engagés, mi-idéalistes, mi-blasés, absolument certains de leur vérité (on croirait parfois entendre Bahia Benmahmoud dans Le Nom des Gens) ; et à la fois une impression d’une grande naïveté (qu’on ne se méprenne pas : une naïveté vraie en un sens, mais une grande naïveté quand même).

Le documentaire en lui-même est de très, très bonne facture. Visuellement, que ce soit le montage, les enchaînements, les musiques, les images d’archive, c’est mignon tout plein à voir, un néophyte comme moi ne voit pas même la différence avec un documentaire d’Arte, c’est donc parfait à ce niveau là. Vraiment, y’a pas grand-chose à ajouter, c’est léché, c’est beau, ça donne envie de « se prendre la main et de faire une ronde autour de la Terre ». Parce que j'ai rien à dire, j’vais enchaîner tout de suite sur le propos de fond du documentaire.

La trame politique. 
Le documentaire, donc, part de 1970 et des brouettes, et remonte le fil de l’histoire : la Marche de 1983, les années mitterrandiennes, le tournant Pasqua, le FN qui monte, la question identitaire qui se cristallise, puis religieuse, les attentats du 11 septembre, pour terminer sur les « émeutes des banlieues » de 2005. Le documentaire retrouve les acteurs de cette marche, les interroge sur leurs origines, leurs motivations passées, leurs visions présentes. Il donne la parole à des acteurs sociaux des quartiers populaires, à des sociologues, à des habitants. Il propose une analyse pas foncièrement idéologique, mais certainement engagée, de cet événement, des ses réussites et de ses échecs. Il veut rétablir une histoire oubliée, faire oeuvre de salubrité publique en rappelant ces épisodes oubliées, et donner de la perspective aux débats de société actuels. 

Invisible actualité.
Bien, je commence par ce dernier mot, qui est un peu un détail, mais la première question pour moi, c’est quand le documentaire s’arrête-t-il ? En 2005 ? Que s’est-il passé depuis dix ans ? 2005, ça me semble déjà loin. Pas de question sur la période Sarkozy. Pas de référence à la période Hollande. Peut-être par peur de pénétrer une chair trop fraîche (ce qui n’est pas forcément bête, loin de là) ? Mais j’ai eu l’impression que la réponse plus vraisemblable était que l’évidence s’imposait sur les années Sarkozy (débat sur l’identité nationale, karcher, tout ça). Je trouve ça dommage, dans la mesure où ce que j’aime dans ce genre d’exercice, c’est justement quand il dépasse un peu l’évidence, et fournit des réponses concrètes. Le plan « Espoir Banlieue », ça a foiré ou pas ? Et même si c’est évident que ça a foiré, comment, pourquoi ? Quid des évolutions plus récentes?  De l'amoindrissement des services publics ? De la montée du front national au sein même des quartiers populaires ? Et du débat grandissant entre « banlieues urbaines » et « banlieues rurales » (qui, je crois, existait moins auparavant) ? A mes yeux, c’est ça aussi, l’Après.
Du coup, on se retrouve face à un documentaire de très bonne facture, bien fait, mais qui semble refuser d’aller au bout de sa logique, c'est-à-dire de confronter la revendication simple formulée dans les années 1980 (« Acceptez-nous ») à la situation extrêmement complexe actuelle. Parce que finalement, l’analyse du déplacement du débat vers des questions identitaires et religieuses, on commence à en avoir entendu parler. C’est l’actuel qu’on ne voit plus, ou bien à travers des lunettes grossissantes et déformantes que le documentaire tente de nous enlever. Alors le manque de recul empêche certainement de toute manière d’avoir une vision claire de l’évolution des quartiers populaires depuis 10 ans ; mais même si c’est du « More of the Same », on voudrait le voir, le sentir, le comprendre.

Les héritiers de la gauche.
Du coup, que reste-t-il ? Si j’étais méchant, je dirais que ce documentaire ne m’a rien appris. Une analyse classique sur l’échec de SOS Racisme, la polarisation du débat identitaire, la peur grandissante de l’islam, j’ai l’impression d’en avoir bouffé au p’tit dej’ depuis dix ans. Ce à quoi les réalisateurs répondront que ce n’est pas le cas des populations des quartiers populaires, qui auront accès à un discours qui tranche avec le brouhaha médiatique sur les banlieues. Mais du coup, le documentaire pourrait un peu devenir un 'réconfort' (à défaut d'un meilleur terme) pour une population qui en a marre (sans doute à raison) de voir des reportages sur la violence urbaine et la drogue dans les halls d’immeuble. Mais je ne suis vraiment pas certain que le pékin moyen français y trouve son compte. Il verra de très belles idées, des réalités, des analyses, des contre-exemples qui tranchent avec le couplet sur le gamin qui brûle des voitures. Mais il verra surtout le discours qui l’accompagne, et qui est le même depuis 30 ans. Un discours plutôt vrai, volontariste, de gauche, sur l’intégration, ses obstacles que sont le racisme, la ségrégation sociale et spatiale.  Mais je pense que les déjà convaincus en sortiront encore plus convaincus. Et que ceux qui pensent que ce genre de propos appartient aux « bobo-parigo-socialo-mondialistes » en sortiront sans bouger d’un iota sur leur position.
Pourtant, le documentaire introduit quelques idées originales, mais qui sont à mon goût encore trop peu nombreuses pour prétendre dépasser les lignes classiques du discours ressassé sur l’intégration. Un jeune ingénieur, qui ne trouve pas de boulot « alors qu’il est major de promo », commence par décrire sa situation compliquée de chômeur, à témoigner de son expérience personnelle, et termine sur une réflexion fondamentale : la ségrégation raciale, territoriale, est couplée d’une ségrégation de l’information, du réseau, de l’accès à l’information.
Là, on avance. On avance par rapport à cette opposition débile entre "fachos" et "gauchos angéliques". A mes yeux, cet exemple incarne parfaitement ce léger déplacement du curseur qu’il faut opérer pour penser efficacement le problème de la ségrégation de fait dans les quartiers populaires (ou dans les zones rurales d'ailleurs) : il me semble, mais bon c'est depuis ma p'tite chaise de social-traître que je le dis, hein, que focaliser le curseur sur l’identité ou la religion est à terme contre-productif, même si c’est ce qui semble le plus évident. C’est comme si, dans les deux « camps », il était plus facile de rester sur des questions d’identité nationale ou de religion : j’ai pourtant l’impression que certaines populations peuvent être en accord complet ou relatif avec leur identité nationale (aux Etats-Unis, par exemple) et pour autant être l’objet d’une ségrégation importante. La même chose va pour la religion (les communautés protestantes ou catholiques noires aux Etats-Unis – ou en Amérique Latine – en sont un exemple). Je trouve qu’ici, on touche du doigt l’hystérisation du débat identitaire français (selon moi au sein des deux 'pôles' du débat) qui fait de l’appartenance religieuse ou de l’origine l’alpha et l’oméga du débat de société, alors qu’il n’en pas est à mes yeux l’explication unique et complète.

Il faut aussi ajouter, pour être tout à fait complet, que la parole est donnée exclusivement à des acteurs des mouvements antiracistes, à des sociologues qui l’expliquent (et partagent, partiellement ou totalement, les valeurs et les méthodes employées par le mouvement ; ainsi que les conclusions d’échec qui sont tirées – peut-être à l'exception de Julien Dray), à des jeunes qui témoignent de leur expérience actuelle. Je trouve qu’il manque un autre son de cloche, celui du politique (qui ici est juste, au mieux un naïf, au pire un incapable) qui n’a rien compris aux enjeux de politique urbaine ou tout simplement à des acteurs en désaccord avec le propos. Loin de moi l’idée de vouloir légitimer ou défendre ces (ou au moins certains de ces) points de vue, mais le sentiment, à la fin de pareil documentaire, est d’avoir entendu les sans-voix, et c'est parfait, mais en circuit clos, fermé, entre personnes qui se comprennent et se répondent. Encore une fois, ça ne rend pas le projet moins légitime, ni même foncièrement moins intéressant, mais ça le rend beaucoup moins intelligible par le reste de la population.

En fait, y'a deux positions: soit on considère que le débat sur l'intégration est irréconciable, et on continue à se balancer à la gueule les arguments entre les deux camps (ce qui peut se défendre, mais qui n'a pas foncièrement fonctionné dans les années 2000, par exemple) ; soit on essaie d'introduire de nouvelles analyses sur la situation. Je ne dis pas qu'une de ces approches est plus légitime que l'autre ; j'suis juste partisan de la seconde.
« Tu sais donc pas que c’est pas bien d’être raciste ? Que c’est mal ? ».
Il est des sujets dans lesquels on entre comme dans une cathédrale. Et le racisme est l’un de ceux là. Celui où l’on va dire des conneries (j’en ai sorti pas mal au fil de cette critique, oui, oui), celui où l’on se justifie en permanence, celui où l’on vient apaiser sa conscience, de se dire que nous, nous sommes des gens bien, parce qu’opposés aux discriminations. 

Quelques semaines après l'avoir vu, j’ai eu ce fantasme. Le documentaire se terminait sur la scène suivante :

-          « Qu’est-ce que j’apprends, Frankie ? Espèce de malhonnête ! Il paraît que t’as des propos intolérables ! Où y’a pas de tolérance ! Tu sais donc pas que c’est pas bien d’être raciste ? Que c’est mal ? On ne doit pas faire de discrimination raciale, c’est mal ! Juger les gens sur leur religion, c’est mal ! Sur leur couleur de leur peau, sur leurs origines sociales ou sur leur nationalité, c’est mal !
-          Okay… puisque je vois qu’on peut pas discuter… on va faire un duel.
-          Enculé de ta race ! »

Histoire de mettre un peu d’humour, de contradictions et de nuances (j’allais dire de couleurs) dans un travail par ailleurs important, rodé, indubitablement bien fait et utile d'un côté ; parfois un peu moralisateur et pas complètement convaincant pour qui n'adhérerait pas à son hypothèse de départ, de l'autre.  

Tudy

mardi 21 janvier 2014

World War Série Z – Ou comment j’ai commencé à me prendre pour l’Odieux Connard.


World War Z, un réalisateur hollywoodien lambda, 2013.

J’avais eu une dure journée. Je me sentais pas de me mettre à du Henri-Georges Clouzot ou à commencer un film contemplatif de Terrence Malick. Donc, j’ai décidé de me mater un divertissement. Qui permette de mettre le cerveau sur off. Apparemment, les scénaristes aussi avaient eu une dure journée.

Pour ceux qui suivent : l’Odieux Connard est un blogueur arrogant, génial et un peu vain (exemple : http://odieuxconnard.wordpress.com/2011/01/29/lennui-des-morts-vivants/). Cet article (qui ne sera jamais à la hauteur du p'tit doigt de la cheville de trois lignes de l'OC) n’est qu’une pathétique conséquence indirecte de mes lectures bien trop régulières de son blog, et du fait que je n'ai rien publié depuis quatre mois. 

Pitch.
Une invasion de zombies qui calquent leur mode de vie sur Usain Bolt (« they don’t just run… they sprint ! ») à l’échelle planétaire se propage. De Philadelphie à Israël, en passant par le Pays de Galles, Brad Pitt tente d’arrêter le virus avec ses p’tits bras musclés et malgré son absence de diplômes, de quelque compétence ou légitimité que ce soit. 

Le genre du massacre.
Là, je sais ce que vous vous dites. Vous vous dites « ce mec doit être foncièrement atteint et/ou chômeur pour avoir maté un truc pareil un lundi soir » (c'est pas faux). Coupable d’avoir vu ce truc, coupable de lui accorder trop d’importance en écrivant dessus. Je suis Saint-Thomas. Je suis celui qui veut voir, je dois porter ces stigmates pour croire. C’est donc le cerveau troué que je peux écrire sur ce film. Pour paraphraser Saint Nicolas de l’Apostolat dans les saintes écritures, « Moi, World War Z, on m’avait dit ce qu’il valait, mais je l’ai vu. Heureux celui qui croit sans avoir vu ». C’est vrai que l’annonce de scénar’ tient sur un post-it déchiré, mais j’étais pourtant pas foncièrement pessimiste en commençant le film. Vraiment au tout début. Je me disais que le principe d’un film sur l’invasion de zombies comme mondialisation, ça pouvait être sympa, développer une critique du capitalisme mondialisé à outrance, ou au contraire de la progression du fascisme, ou alors une fable sociale sur la lourdeur du processus de paix israélo-palestinien. Mais en fait non

Avant de commencer, il faut que je précise à mon corps défendant que,  contrairement à ma nouvelle référence littéraire en la matière (voir lien ci-dessus), je suis un grand amateur de films de zombies. Un vrai nerd qui a passé des heures à planifier sa stratégie échappatoire en cas d’invasion zombie, qui voit dans ce fantasme la possibilité d’une rédemption, le fait de repartir à zéro, tout ça. C’est vrai que tout cela est un peu facile, surtout depuis qu’un certain Kirkman a rendu ses lettres de noblesse au genre, que ce genre de conneries se développent vitesse grand V. Que ça retombe toujours dans les mêmes eaux (aléas moraux, anarchisme débridé, personnages secondaires qui tombent comme des mouches). Mais j’aime le côté métaphorique débile du film de zombies, j’aime la critique de base de Romero qui l’amène à créer le genre, j’aime ce que ses suivants en ont fait (Rob Zombie le bien-nommé, et même dans une certaine mesure, le premier de Boyle, 28 heures plus tard), j’aime ce qu’ils montrent d’une société, et ce qu’ils en dénoncent. Ce ne sont que rarement des grands films, mais c’est mon plaisir coupable, une sorte de métaphore simple (ça c’est le truisme Romero, je sais, mais il est bon de le rappeler) sur le chaos, sur la société de consommation, sur l’atrocité de l’homme, sur les valeurs tradi, sur la religion, sur la survie. J’aime ce que les parodies de films de zombies leur font dire. J’aime beaucoup le fait que cela fasse désormais partie du paysage social, que ce mythe soit devenu commun, que cette anarchie moderne soit devenue une rengaine.

Je trouve ça surtout bien parce que c’est un genre de série Z, et qui se fout de la gueule de la série Z, et qui embrasse ses codes, et qui surligne ses enjeux, et qui enfoncent ses portes ouvertes. C’est tout le risque de ce genre de logique (exemple : c’est comme du Tarantino qui, quand il se fout trop de la gueule du monde, genre Boulevard de la Mort, en vient à devenir aussi mauvais que les films dont il est censé s’inspirer et qu’il est censé parodier). J’adore ça, et ça me vient d’abord pour la passion pour ce jeu vidéo ridicule et génial qu’était Resident Evil (rien que le titre, quand on y pense, est bien débile), qui embrassait complètement, qui avait poussé à bout, cette logique du survival métaphorique, à coups de grandes phrases débiles, de doublages extrêmement pauvres, de graphismes gores à souhaits, de coexistence entre une véritable peur et un mauvais goût abominable qui le rendait très sympathique.

Je vais même aller jusqu’à dire que le film de zombies était l’un des derniers genres cinématographiques qui appliquaient certaines règles théâtrales à la lettre : unité de temps, unité d’action, unité de lieu, unité du vocabulaire monosyllabique (« just… go… I… will just… slow you… down… », « Oh my God, John, the black man of our group, has been bit ! »). Qui lui confèrent un charme, une certaine aura. Qui en font toute la limite, évidemment. C’est ce jeu avec ces limites scénaristiques qui me font adorer les Zombie, REC, et Planet Terror. C’est un genre que je continue d’aimer. Enfin, je crois.

Le massacre du genre.
Un film de zombies a donc selon moi le droit, presque le devoir, d’être mauvais. Un peu. Pas trop. Ou savoir être bien mauvais, parce que oui, on peut faire un film mauvais avec grande élégance ou un film « élégant » avec très mauvais goût. Ce qui attire l’œil dans World War Z (WWZ, pour les intimes), c’est la nature du zombie en question : il est enragé (mais genre, beaucoup plus que d’habitude), il sprinte, donc, comme dans Zombieland, il n’a aucun sens de la survie (exemple : sauter de 89m de haut pour trouver sa pitance ne lui fait pas vraiment peur), il a l’air méchant. Bon déjà, avec un zombie pareil, on se doute que Brad Pitt va avoir pas mal de bol pour ne survivre ne serait-ce que trois minutes trente, surtout avec deux gamins, puis trois, sur les bras, au milieu de morts-vivants dopés à l’EPO, qui n’hésitent pas à te courir après à 8700, parce qu’à un contre un, c’est moins drôle. Mais à la limite, le concept pourrait être sympa, puisque ça pourrait rendre le film en mode « survie proie-gibier », puisque pas moyen d’arrêter 8700 personnes avec une pelle (j’ai essayé pour les manifestants Pro-Vie qui défilaient à Paris ce week-end. Ce fut un échec). Mais en fait non ! Qu’importe, Brad, un pied de biche à la main, n’hésite à dézinguer, à schlaguer du zombie à la pelle. Mais comme on n’est pas là pour avoir du film réaliste, pour la fable sociale on repassera, pour la mise en scène on retournera pleurer tranquillement dans sa chambre. Du coup, ce côté « zombie sous ecstasy » et qui arrivent par flots est, dans son concept, pas trop mauvais. Vous voyez, métaphore sur les mouvements de masse, réflexions sur les écrits de Wilhelm Reich, introspection sur le moi face à la peur du nombre, anéantissement des valeurs par l’idéologie, je le sentais pas trop mal.

2e idée (et dernière) du film : s’exporter à l’international. Faisant le tour du monde en deux jours, souvent, Brad arrive, jet-lagué comme il faut, et obtient une info tout à fait inintéressante qu’il aurait pu obtenir sans sacrifier 14 de ses p’tits copains dans l’aventure, genre en téléphonant ou en envoyant un fax. Puisque oui, pour apprendre que dalle, Brad fait 6000 km en vol plané, lui, il s’en bat les steaks. Ce qui est d’ailleurs fun, c’est que Brad, il bosse pour l’ONU, mais on sait pas ce qu’il fait. Il est pas médecin. Il est pas militaire. Il est pas humanitaire. Il est pas avocat, ni sculpteur, ni dentiste. Il est… heu… il est même pas genre « agent secret ». Il est « accompagnateur » de l’ONU (il fait pas un super job au départ, mais du coup, il devient le dernier espoir de l’humanité. Pas con, le gars). Et ouais. Et il faut qu’il trouve un remède à l’apocalypse zombie. Bon. Côté international, donc, qui a le mérite d’être (relativement) novateur. Jérusalem qui croule sous  les zombies, c’est quand même assez osé, dans l’idée. Mais juste dans l’idée.

« HOLLYWOOD WAS HERE ».
Ce film ne propose aucun sens, aucune morale, aucune action réellement bluffante. C’est vraiment un objet vide. Un film qui n’assume même pas ce qu’il est, qui tente de faire dans le grandiloquent alors qu’il n’a absolument rien à dire, ni sur le monde, ni sur la série Z, ni sur les zombies, ni sur rien du tout. Mais ce qui est pire, c’est qu’il se prend très, très au sérieux, et entre, bien plus que d’autres films post-apocalyptiques, dans des enjeux qui sont, en théorie, extrêmement politiques. Alors prenons l’exemple le plus marquant du film.

Quand, à Séoul, Jeannot dit à Brad que selon Michel, d’après les infos de Pedro, la personne qui sait d’où est parti le virus est un Israélien prénommé Stanislas, Brad paie donc une petite visite à l’État hébreu. Surprise ! Les Israéliens, « grâce » au mur qu’ils ont construit autour d’un « périmètre de sécurité » (le mur faisant à peu près 60 mètres de haut, histoire que les Palestiniens se fassent pas la courte-échelle pour passer) leur permet de survivre à l’attaque de zombies ! Magnifique ! En plus, ils l’ont renforcé en entendant une rumeur sur des zombies venue d’Inde (à ce moment, je me suis dit que Brad allait forcément aller dézinguer des habitants de New-Delhi, mais en fait non). Mais pourquoi eux l’ont su et pas les autres nations ? Là, on sent la polémique qui monte. On sent le propos géopolitique qui sous-tend l'action. On sent la prise de risques inconsidérés des scénaristes qui recevront bientôt un p'tit coup de fil de Manuel. Et là, Stan, Stanny, nous sort que c'est parce qu’Israël ne prend « aucun risque » et prend « toutes les rumeurs au sérieux ». Pourquoi ? Parce qu'attentats Munich, parce que guerre du Kippour, parce que 1933. Il parle avec une larme dans les yeux de la prévoyance israélienne et de son savoir faire qui lui permet de filtrer les gens pour que les zombies ne passent pas. Malin, le p’tit Stan ! Cependant, Stan déchante assez vite quand il se rend compte que des p’tits Palestiniens qui passaient par là (ah oui, parce que les zombies ont quand même le mérite de faire ce que Barack et John n’arrivent pas à faire, instaurer une paix au Proche-Orient) font de la musique un peu trop fort, et que le résultat, c’est que « Nuevo Jerusalem » est réduit en cendres par des hordes d’Ara… heu… de zombies. Et Brad, non sans avoir re-sacrifié quarante-cinq militaires de Tsahal qui passaient dans le coin, saute dans un avion, fort de l’information qu’il a glané (heu… qu’il faut construire des murs de 90 mètres de haut à Rhode Island, mais éviter que des p’tits cons mettent de la musique aux fenêtres), et finit par faire exploser une grenade dans cet avion, évidemment envahi d’infestés (si, si ! c’est possible). Bien, je n’irais pas plus loin sur l’histoire, c’est la même chose en boucle, mais dans des endroits différents.
Alors sérieusement, que nous dit une telle séquence ? Au-delà du côté, il faut le reconnaitre, original de la situation (et le fait que Tsahal, malgré ses discours, son professionnalisme et son opérabilité finisse tout de même par se faire démonter), le discours derrière est tout de même consternant. Si le film de zombies, au lieu d’être une farce grotesque ou un mélo introspectif sur la nature humaine finit par être une fable sur la bienfaisance du sécuritaire, de la paranoïa et de la démesure (désolé, Stan, j'étais très touché par ton discours, mais c’est tout de même ce que tu décris, parce que franchement, mettre les attentats de Munich sur le même plan qu’une invasion de zombies qui s’entraînent pour le marathon de Paris, c’est un peu bref), ça devient simplement consternant.

Mais l’amour et la vérité vaincront, à la fin. Et d’ailleurs, José, le petit mexicain récupéré au départ du film, est toujours là, donc le film est sauf, et la morale hollywoodienne aussi (à la fin, Brad nous dit : « battez-vous », et « aimez-vous les uns les autres ». Véridique).

La mort de la série Z.

Et Wilhelm Reich ?
Et Romero ?
Et un peu d’humour ?
Et un peu d’originalité ?
Heu… ba non, rien du tout. Ce qui est drôle, c’est qu’un film pareil montre que le blockbuster ne crée plus de genre, ne crée plus de codes, il fait une espèce de synthèse entre les genres qu'il exploite et ses propres codes, et finit pas détruire les deux. Ça a toujours été des films niais, bien débiles mais il faut reconnaître à Terminator ou à Matrix (le premier, hein) un certain goût, une certaine capacité américaine à construire un divertissement, certes décérébré, mais qui prétendait un peu à quelque chose, à un peu de cinéma, à un peu de mise en scène. Là, même pas. Le dernier machin avec Johnny Depp, Lone Ranger, a explosé en vol. Ce WWZ est un ramassis d’effets spéciaux et se veut sérieux, beaucoup trop sérieux. Alors bien sûr, on peut se dire (je l’ai entendu au moins huit ces dernières semaines) que les films de super-héros trustent les fonds hollywoodiens et envahissent nos écrans de manière insupportable. Mais quand on voit WWZ, on se demande si le monde hollywoodien serait tellement différent, sans les Avengers. On se dit que c’est ni une licence Marvel, ni les films d’animation qui pullulent qui pèsent sur le blockbuster, c’est l’absence de risques qui est centrale, c’est ce code moral, scénaristique, à respecter, et qui doit s’extraire de toute distance critique, ironique, farcesque, outrancière, même quand elle traite d’un genre comme le film de zombies. Ce qui me gave, c’est que Hollywood va même réussir à détruire la série Z.

Une grosse daube. Oui, j’enfonce des portes battantes. Évidemment, pas besoin de mater un film pareil pour le comprendre. Juste une piqûre de rappel.
Et surtout, n’oubliez pas ! Allez au cinéma !