lundi 27 août 2012

Le Grand Détournement - Flim de culte

Incontournable. Mérite-t-il plus qu'un délire entre amis autour d'une bière ? Réponse la moins classe du monde. 


Le grand détournement - La classe américaine, Michel Hazanavicius & Dominique Mézerette, 1993.












Georges Abidbol, l'homme le plus classe du monde, meurt au large de l'Australia et de la Soute América, dans l'Océan Soute Pacifique (pas très loin de l'atoll de Pom Pom Galli). Trois ''journalistes'', Pétaire (R. Redford), Stévaine (D. Hoffman), et Dave (P. Newman) enquêtent sur ses dernières paroles, ''Monde de merde''. 

Même s'il est connu, je rappelle rapidement le principe du Grand détournement: le montage d'images de flims de la Warner tournées entre 1959 et 1980 (qui vont des Hommes du président à Mad Max), en faisant dialoguer (avec la participation des authentiques doubleurs, et celle de quelques blaireaux comme Chabat, ou Hazanavicius lui-même) Stewart, Wayne, avec Fonda, Sinatra ou encore Gable, dans une histoire complètement débile.

Je vais vous raconter une histoire pas banale. En regardant ce flim pour la première fois, j'étais vraiment surpris. Un peu ennuyé au départ, pas totalement réceptif au délire permanent qui entoure l'histoire. Un enchaînement de dialogues plus stupides les uns que les autres. Des vannes un peu poussives. Un engouement pas présent. Une histoire qui peine à démarrer. Et je sais pas, un moment de pur merveille, qui en réalité, j'allais m'en rendre compte, dure 70 minutes, s'est révélé. La parodie pas très drôle est devenue un objet de fascination. Un vrai. D'autant que ce gros bordel cinéphilique n'est pas si évident à partager (le fait que j'ai passé, en compagnie d'un très bon ami, des soirées entières à en réciter des passages complets n'aidant peut-être pas une diffusion restreinte dans mon cercle restreint de connaissances). Le délire n'est pas si facile à faire passer, à expliquer. Le flim est assez vulgaire, pas toujours fin, un peu ''limité'' même dans l'humour: du moins à première vue. Car, et je m'enflamme un peu mais je le pense vraiment, il atteint des sommets dans la construction humoristique que j'ai rarement, très rarement, vu ailleurs: certains montages détournent des situations de flims parfois tragiques en moments de pure merveille ; les doublages collent, par endroits, exactement au ton, au visage, à la réaction, des personnages tournées en dérision ; les jeux sur le montage, le flashback, les onomatopées, les running gag, les flashbacks dans le flashback, les conclusions improbables, les parenthèses stupides, les fentes du quatrième mur (vous savez, cet écran imaginaire qui sépare le spectateur de la représentation, et qui, en théorie, ne doit être brisé) sont souvent très, très travaillés.


Mais il y a plus: le flim est une référence cinématographique permanente. C'est un peu l'enjeu d'un flim qui est une vaste blague, un objet de dérision. On se marre tellement que l'on oublie que... c'est un ouvrage de cinéma, et un vrai. Difficile d'abonder dans le sens du ''grand flim'', dans la mesure où, aussi fan que je suis de cette oeuvre, je conviens facilement de ses quelques faiblesses, de ses brèves longueurs (...), et de ses rares répliques mal placées ou doubleuses (pardon mesdames) peu inspirées. Reste une avalanche de répliques cultes, de détails partout et tout le temps qui donnent une saveur exquise à cette grosse bouffée de cinéma. C'est un massacre, extrêmement rythmé, extrêmement convaincant, extrêmement jouissif. C'est aussi, et je le reconnais d'autant plus que je déteste la plupart des doubleurs français (qui m'ont tant fait souffrir dans mes jeunes années de téléchargement illégal), la preuve du travail monstrueux qui peut être celui d'un doubleur (ici, aidé d'un monteur au poil), du très, très réel talent qu'il faut avoir pour faire du doublage un enjeu de cinéma. 

Ce n'est malheureusement pas ici que je déverserai quelques unes de plus belles répliques du flim, c'est pas vraiment le lieu. Je contournerai cet obstacle en évoquant les champs lexicaux du flim qui 1) sont à mourir de rire, et 2) annoncent des petites merveilles futures qui se gaveront de cet esprit inventif, attentif, et central dans le champ de la comédie (M. Bonnisseur de la Bath, si tu m'entends...). Hazanavicius (parce que c'est bien un réel, un legitimate, premier long-métrage), c'est ce vocabulaire suranné, cet argot qui sent délicieusement la naphtaline: cet univers, c'est un pataquès, des busards, un pérave pris pour une buse, et des collec' de pins ; on y reçoit des missives, on est limite nervous breakdown, on croise un groupe number one, on s'en va la remplir derechef (sa gorge profonde), on pipote (mais juste un peu) ; on peut être bien feinté, admirer l'effet ''spéciau'' de la sonnette, mais ne pas être pris pour la bonne poire. On exulte dans ces codes verbaux ancienne et nouvelle écoles réunies, pas si drôles s'ils sont isolés, mais qui repris, enrichis, s'envolent avec grâce entre deux jurons dégueulasses.

Le génie de ce flim est d'autant plus difficile à comprendre que les autres réalisations faites sur le même registre sont assez moyennes, voire carrément médiocres: pour Hazanavicius & cie, Derrick Contre Superman (court de 1992) garde toute ma sympathie (on sent toute la fraîcheur naissante de l'exercice), mais Ça détourne est un gros, gros ratage en la matière. Gros ratage qui annonce d'ailleurs les médiocres parodies ayant fait les beaux jours d'Internet, et qui ont très, très souvent pris leurs sources dans le modèle du Grand détournement, et sont, mais ce n'est qu'un avis personnel, pour leur immense majorité très mauvaises (je ne suis pas du tout fana de Mozinor et ses équivalents, même si je lui ai piqué la belle photo du flim). Le grand détournement est unique en son genre. Correspond à cet esprit des années 1990 qui, malgré lui, ferme une page de l'humour français, qui deviendra ensuite, dans l'ensemble, celui que nous connaissons tous (attention, petit pétage de câble perso), celui où on rit du quotidien, des petites manies, des petites références sans prétention, et ahahaha, tout le monde fait ceci ou cela (le GPS et Ikea), et puis on parle du ski, et de la boîte de nuit, et puis du fait qu'on vit tous les mêmes expériences huhuhu. Enfin les Gad, Florence, Kyan, Norman et consors qui, s'ils sont (parfois, mais vraiment parfois) drôles à leur manière, appartiennent à une autre forme de rire, moins engageant, moins risqué, moins vulgaire aussi, mais surtout moins fun, moins paquet de pâtes entre potes, moins rire gras et franc tout en pouvant être subtil et inaccessible à la première écoute, ou à la dixième (aujourd'hui, qui peut ne pas comprendre un sketch ou une blague d'une comédie française de base ?). Monde de merde.

Alors, oui, Le grand détournement est un cas à part. Il est drôle, prenant, clivant, et paradoxalement léger. Et surtout, il est un vrai flim, une vraie comédie. Et sans doute l'une des meilleures qu'il m'ait été donnée de voir (une trentaine de fois), et ce, toute époque et tout support confondus.

dimanche 26 août 2012

My Dinner With André, ou le triomphe de l'ivresse

J'ai un peu honte des raisons qui m'ont fait voir ce film, sa parodie dans un épisode de Community (s02e19, ''Critical Film Studies''). On a les références que l'on peut. 

My Dinner With André, Louis Malle, 1981.


New York, début des années 1980. Deux anciens amis se retrouvent dans un restaurant. La discussion dure près de deux heures. 

Film fleuve, enivrant, My Dinner With André est une claque. Bricolé par deux auteurs, qui en sont aussi les deux acteurs, le film est d'une simplicité déconcertante. Deux hommes discutent. Sans phrases choc, sans tentatives de séduction du spectateur. On parle d'amour, d'expériences spirituelles, de théâtre, de vieillesse, d'idéalisme, de politique, un peu. Les auteurs jouent sur le temps, sur l'ivresse du moment, sur l'emballement de la conversation, sur l'incompréhension du spectateur. Étonné, déconcerté, enthousiasmé, enivré, on participe avec eux à cette discussion longue, parfois brillante, parfois inepte, toujours marquante. Le film s'appuie sur le non-évènement, sur la construction autour du vide. Un bel exercice.

On pourra reprocher à My Dinner With André de se vouloir intello. Un peu à la manière d'un film de Rohmer en son temps. Le genre de pellicule qu'on ne passera jamais que sur Arte, entre 1h15 et 3h du matin, pour des amateurs insomniaques et patients. Un Ma nuit chez Maud sans histoires, et peut-être un brin moins démonstratif. On pourrait le croire parfois un peu masturbateur. Pourtant, et c'est la force du film, il n'est jamais inaccessible. Il multiplie les références, les jeux d'interprétation, les réflexions déconcertantes. Les discussions sont lointaines, marquantes, irréelles. Wallace Shawn, avec son air bouffi, sa calvitie précoce, son timbre de voix nasillard, représente à la perfection le terre-à-terre peu sûr de lui, en prise avec la difficulté du réel new-yorkais. André Gregory est l'homme de théâtre expérimental perché, paumé, souriant et profondément atteint, qui raconte chacune de ses expériences absurdes comme si c'était une tirade de Shakespeare. Le film porte deux grandes performances d'acteurs, celle de Gregory en premier, qui joue à la perfection l'acteur dans l'acteur. La réalisation est sobre, donc parfaite. Le Gymnopédies n°1 de Satie achève cette jolie construction.

Le film raconte l'ivresse d'une conversation, décrypte un rapport possible du réel à la fiction. Tente un peu de faire de la philo de l'art. Simple, prétentieux dans sa forme comme il faut, il agit comme une belle discussion entre amis. Le film avance et l'ivresse du spectateur avec lui.

À la fois dérangé et repu, frustré et satisfait, on ne sort de ce film qu'avec une gueule de bois existentielle, un sentiment de malaise plutôt vivifiant. Film lent, très lent, porté par deux acteurs, il incarne parfaitement la déprime des 80's, le sentiment limité d'une génération qui a atteint ses limites. Grand film.

samedi 25 août 2012

38 témoins, et autant de boîtes de Prozac

Ce blog part de lui (assez étrangement, je l'avoue). Je devrais donc lui reconnaître ça. 38 témoins, malgré tout, m'a donné envie d'écrire, et je peux penser que c'est déjà pas si mal.


 38 témoins, Lucas Belvaux, 2012.



Le film s'ouvre sur un porte-conteneurs qui entre dans le port du Havre. Plans lents, musique oppressante, absence de vie. Le pitch est relativement simple: un cadavre est retrouvé dans une rue, et la ''PJ'' enquête. Il faut reconnaître à 38 témoins l'ambition qu'il porte: puisqu'évidemment, si ce film vaut, du moins en théorie, le détour, c'est parce que le crime, et sa résolution, ne sont nullement les centres du film. Ils sont effacés, ils sont un arrière-plan. Et c'est plutôt excitant pour un film du genre. Le centre, c'est la réaction au meurtre. 37 personnes interrogées successivement par la police disent n'avoir rien entendu, rien vu, et donc rien fait. Mais un pilote de porte-conteneurs dépressif au vocabulaire monosyllabique décide de révéler l'atroce vérité, rongé par les remords et la culpabilité: lui a vu, lui a entendu, lui confesse n'avoir rien fait. Le film est censé se baser sur un fait divers états-unien de 1964 (gage, pour les producteurs, de la force d'un récit, ce qui est, soit dit en passant, une absence totale de réflexion sur la force de la fiction face à la force du réel, surtout dans le cadre d'une réalisation artistique, mais passons). 

Badabim ! La non-assistance à personne en danger, la force juridique du témoignage, la faiblesse, la lâcheté commune, que dis-je, la mauvaise conscience collective, rentrent dans le film comme dans du beurre. On passe du silence au murmure, du murmure à la parole, de la parole au cri, et du cri à l'assourdissant. Inévitablement, le système réagit: la machine policière, puis judiciaire, puis médiatique se met en route. Honnêtement, le sens de l'histoire ne me paraissait pas débile. Mettre le clampin moyen face à ses propres contradictions, sa difficulté à affronter le réel, et voir sa position attentiste transformée en acte criminel, ça me plaisait pas mal. Faire du non-acte la pire des complicités, c'est toujours fun, surtout que nous détestons ce genre de définitions du Mal par l'absence du Bien, c'est extrêmement inconfortable. Malheureusement, ce film est raté. Raté pour nombre de raisons. Les performances d'acteurs sont vraiment désolantes (en même temps, gavé à l'acting américain comme je le suis, j'ai désormais du mal avec les performances estampillées formation française, où l'on met de grands silences entre chaque phrase pour dire: ''j'ai peur'', ''je t'aime'', ''je ne sais pas'', ''je vais manger du fromage de chèvre''). Les dialogues sonnent faux, les conversations entre les personnages sont sans âme, sans prise sur sur le réel, sans forme et surtout sans fond. Ou peut-être au contraire avec trop de forme: mais un caractère écrit, et mal écrit. Surjoué, et mal surjoué. Et même mon Yvan Attal bien aimé, magnifique dans Rapt, à mourir de rire dans Ma femme est une actrice (''- il n'y a vraiment que le cul qui t'intéresse ? - Nan ! Y'a la botanique aussi, mais oui, en l'occurrence, c'est ça qui m'intéresse !!!''), est ici mal situé, mal dirigé peut-être, mal en point. Sa partenaire, jouée par Sophie Quinton, semble sortir directement de la dernière vague d'acteurs post-déconstructivistes suburbains (elle pleure tout le temps, regarde dans le vide, conduit avec un air de cocaïnomane). Le reste des comédiens est passable. Tout juste. Pourtant, tout n'est pas à jeter. La réalisation est de bonne facture: les longs plans de la ville du Havre viennent illustrer la tristesse joyeuse des ports de commerce ; le silence des rues rappelle au spectateur l'atroce vérité du crime, et l'incapacité d'y faire face ; l'architecture de la ville est mise en valeur, et de belle manière. Les plans sont travaillés, la photographie réussie. Quant à la musique, elle se fait oublier, ce qui n'est ni un gage de qualité, ni de médiocrité.

Mais vraiment, là où le film pêche, ce n'est pas forcément par la mauvaise direction des acteurs (étrange, soit dit en passant, de la part d'un réalisateur de la qualité de Lucas Belvaux, et qui le prouve ici par quelques plans superbes), ce n'est pas forcément par la lenteur contemplative du film (on sait désormais que le film contemplatif est le film qui vous contemple...), ce n'est pas forcément la faiblesse du pitch de départ (qui pourrait être mieux amené, moins épuré peut-être). C'est le propos qui est mal servi, décapité, saccagé, par sa lourdeur. Écartons d'emblée le lien avec la collaboration (le parallèle est un peu facile, et j'ose croire qu'il n'est pas le coeur du récit pour le réalisateur). Ce qui est mal agencé, c'est la dimension culpabilisante du récit. On voit effectivement se mettre en marche la machine à broyer de la culpabilisation. Mais elle n'est jamais révélée de manière forte, elle reste caricaturée. Les figures des voisins sont dépeintes comme des monstres malgré eux, mais ce n'est pas de la tendresse, ni de la tristesse, qui sont utilisées comme focales. C'est un jugement mal placé, ou tout du moins, mal mis en place. Les policiers, puis les médias ne tardent pas à venir les croquer. Et l'on sait que cela finira mal. Cependant, le propos du récit est instable: il condamne la lâcheté de l'Homme. Big Fucking Deal. Pourquoi, au contraire, n'avoir pas pris le parti de défendre, ou plutôt de montrer, les raisons intimes des silencieux ? Pourquoi ne pas en déterrer davantage les contradictions ? Pourquoi en faire un objet d'indignation plutôt qu'un objet de réflexion ? Ici, tout devient rapidement sentences morales, nécessités humaines, et l'on se dit: ''ah... la lâcheté des hommes...''. Par instants, je me serais cru en train de lire du Hessel. Le sujet aurait pu être autre que celui de ''la lâcheté'': il aurait dû être celui de la lâcheté personnelle confortée, sculptée, par celle de l'autre. De ce rapport intime au groupe, à l'ensemble du corps social. De l'impossibilité d'être courageux. De la lâcheté du système médiatique, qui se repait de l'histoire comme d'un cadavre. Restent quelques bonnes idées, loin d'être révolutionnaires: en particulier, la faiblesse du système policier et judiciaire, embourbé dans son besoin de moralité, et dans l'obligation de la surmonter, de la violer, pour mener à bien l'enquête, est la bienvenue. Quelques pistes sont dessinées, un procureur plein de bon sens intervient contre le Jugement auquel se prête le récit, mais se fait rapidement oublier. L'essai moraliste s'engage, et, malgré tout ce qui vient d'être dit, il n'est pas complètement raté. La condamnation du brave au nom de sa lâcheté d'être brave... (si vous me suivez encore), en voilà une belle figure oxymorique ! Mais c'est trop pauvre, trop lâche (... dans le sens second sens du terme), trop faible, pour convaincre, ou pour faire réfléchir. 

Lucas Belvaux veut, et fait bien. Mais il fait trop bien. Il souligne, il répète, il harcèle. En voyant le film, je pensais à cette vanne, qui, personnellement, me fait mourir de rire (oui, bah, chacun ses délires), d'un narrateur qui décrit une action et d'un acteur qui redit exactement la même chose. C'est un peu cela. Tout est braqué en pleine lumière, les qualités du film s'effacent, ses faiblesses prennent du relief. Le film se termine sur un fondu qui correspond à l'état du spectateur à la fin d'1h40 de film moyen, trop long ou trop court, décevant parce que prometteur, peut-être pas mauvais, certainement loin d'être bon. Une erreur excusable.

Lancement cinisant

Parti d'une blague peu drôle, Le Cinologue est un balcon, depuis lequel j'entends jeter quelques réflexions et quelques opinions sur un film ou deux, parce que mon entrée au Masque et la Plume se fait trop attendre.

Une seule règle: essayer de ne pas trop parler, et de limiter les références cultureuses.

Bonne lecture.

NB. Les images utilisées sur ce blog ont été purement et simplement volées à leurs auteurs par le biais Google Images. Mais bon, en même temps, c'est pas comme si j'allais avoir des milliers de visiteurs et me faire des thunes sur leurs dos. Non mais oh !