samedi 25 août 2012

38 témoins, et autant de boîtes de Prozac

Ce blog part de lui (assez étrangement, je l'avoue). Je devrais donc lui reconnaître ça. 38 témoins, malgré tout, m'a donné envie d'écrire, et je peux penser que c'est déjà pas si mal.


 38 témoins, Lucas Belvaux, 2012.



Le film s'ouvre sur un porte-conteneurs qui entre dans le port du Havre. Plans lents, musique oppressante, absence de vie. Le pitch est relativement simple: un cadavre est retrouvé dans une rue, et la ''PJ'' enquête. Il faut reconnaître à 38 témoins l'ambition qu'il porte: puisqu'évidemment, si ce film vaut, du moins en théorie, le détour, c'est parce que le crime, et sa résolution, ne sont nullement les centres du film. Ils sont effacés, ils sont un arrière-plan. Et c'est plutôt excitant pour un film du genre. Le centre, c'est la réaction au meurtre. 37 personnes interrogées successivement par la police disent n'avoir rien entendu, rien vu, et donc rien fait. Mais un pilote de porte-conteneurs dépressif au vocabulaire monosyllabique décide de révéler l'atroce vérité, rongé par les remords et la culpabilité: lui a vu, lui a entendu, lui confesse n'avoir rien fait. Le film est censé se baser sur un fait divers états-unien de 1964 (gage, pour les producteurs, de la force d'un récit, ce qui est, soit dit en passant, une absence totale de réflexion sur la force de la fiction face à la force du réel, surtout dans le cadre d'une réalisation artistique, mais passons). 

Badabim ! La non-assistance à personne en danger, la force juridique du témoignage, la faiblesse, la lâcheté commune, que dis-je, la mauvaise conscience collective, rentrent dans le film comme dans du beurre. On passe du silence au murmure, du murmure à la parole, de la parole au cri, et du cri à l'assourdissant. Inévitablement, le système réagit: la machine policière, puis judiciaire, puis médiatique se met en route. Honnêtement, le sens de l'histoire ne me paraissait pas débile. Mettre le clampin moyen face à ses propres contradictions, sa difficulté à affronter le réel, et voir sa position attentiste transformée en acte criminel, ça me plaisait pas mal. Faire du non-acte la pire des complicités, c'est toujours fun, surtout que nous détestons ce genre de définitions du Mal par l'absence du Bien, c'est extrêmement inconfortable. Malheureusement, ce film est raté. Raté pour nombre de raisons. Les performances d'acteurs sont vraiment désolantes (en même temps, gavé à l'acting américain comme je le suis, j'ai désormais du mal avec les performances estampillées formation française, où l'on met de grands silences entre chaque phrase pour dire: ''j'ai peur'', ''je t'aime'', ''je ne sais pas'', ''je vais manger du fromage de chèvre''). Les dialogues sonnent faux, les conversations entre les personnages sont sans âme, sans prise sur sur le réel, sans forme et surtout sans fond. Ou peut-être au contraire avec trop de forme: mais un caractère écrit, et mal écrit. Surjoué, et mal surjoué. Et même mon Yvan Attal bien aimé, magnifique dans Rapt, à mourir de rire dans Ma femme est une actrice (''- il n'y a vraiment que le cul qui t'intéresse ? - Nan ! Y'a la botanique aussi, mais oui, en l'occurrence, c'est ça qui m'intéresse !!!''), est ici mal situé, mal dirigé peut-être, mal en point. Sa partenaire, jouée par Sophie Quinton, semble sortir directement de la dernière vague d'acteurs post-déconstructivistes suburbains (elle pleure tout le temps, regarde dans le vide, conduit avec un air de cocaïnomane). Le reste des comédiens est passable. Tout juste. Pourtant, tout n'est pas à jeter. La réalisation est de bonne facture: les longs plans de la ville du Havre viennent illustrer la tristesse joyeuse des ports de commerce ; le silence des rues rappelle au spectateur l'atroce vérité du crime, et l'incapacité d'y faire face ; l'architecture de la ville est mise en valeur, et de belle manière. Les plans sont travaillés, la photographie réussie. Quant à la musique, elle se fait oublier, ce qui n'est ni un gage de qualité, ni de médiocrité.

Mais vraiment, là où le film pêche, ce n'est pas forcément par la mauvaise direction des acteurs (étrange, soit dit en passant, de la part d'un réalisateur de la qualité de Lucas Belvaux, et qui le prouve ici par quelques plans superbes), ce n'est pas forcément par la lenteur contemplative du film (on sait désormais que le film contemplatif est le film qui vous contemple...), ce n'est pas forcément la faiblesse du pitch de départ (qui pourrait être mieux amené, moins épuré peut-être). C'est le propos qui est mal servi, décapité, saccagé, par sa lourdeur. Écartons d'emblée le lien avec la collaboration (le parallèle est un peu facile, et j'ose croire qu'il n'est pas le coeur du récit pour le réalisateur). Ce qui est mal agencé, c'est la dimension culpabilisante du récit. On voit effectivement se mettre en marche la machine à broyer de la culpabilisation. Mais elle n'est jamais révélée de manière forte, elle reste caricaturée. Les figures des voisins sont dépeintes comme des monstres malgré eux, mais ce n'est pas de la tendresse, ni de la tristesse, qui sont utilisées comme focales. C'est un jugement mal placé, ou tout du moins, mal mis en place. Les policiers, puis les médias ne tardent pas à venir les croquer. Et l'on sait que cela finira mal. Cependant, le propos du récit est instable: il condamne la lâcheté de l'Homme. Big Fucking Deal. Pourquoi, au contraire, n'avoir pas pris le parti de défendre, ou plutôt de montrer, les raisons intimes des silencieux ? Pourquoi ne pas en déterrer davantage les contradictions ? Pourquoi en faire un objet d'indignation plutôt qu'un objet de réflexion ? Ici, tout devient rapidement sentences morales, nécessités humaines, et l'on se dit: ''ah... la lâcheté des hommes...''. Par instants, je me serais cru en train de lire du Hessel. Le sujet aurait pu être autre que celui de ''la lâcheté'': il aurait dû être celui de la lâcheté personnelle confortée, sculptée, par celle de l'autre. De ce rapport intime au groupe, à l'ensemble du corps social. De l'impossibilité d'être courageux. De la lâcheté du système médiatique, qui se repait de l'histoire comme d'un cadavre. Restent quelques bonnes idées, loin d'être révolutionnaires: en particulier, la faiblesse du système policier et judiciaire, embourbé dans son besoin de moralité, et dans l'obligation de la surmonter, de la violer, pour mener à bien l'enquête, est la bienvenue. Quelques pistes sont dessinées, un procureur plein de bon sens intervient contre le Jugement auquel se prête le récit, mais se fait rapidement oublier. L'essai moraliste s'engage, et, malgré tout ce qui vient d'être dit, il n'est pas complètement raté. La condamnation du brave au nom de sa lâcheté d'être brave... (si vous me suivez encore), en voilà une belle figure oxymorique ! Mais c'est trop pauvre, trop lâche (... dans le sens second sens du terme), trop faible, pour convaincre, ou pour faire réfléchir. 

Lucas Belvaux veut, et fait bien. Mais il fait trop bien. Il souligne, il répète, il harcèle. En voyant le film, je pensais à cette vanne, qui, personnellement, me fait mourir de rire (oui, bah, chacun ses délires), d'un narrateur qui décrit une action et d'un acteur qui redit exactement la même chose. C'est un peu cela. Tout est braqué en pleine lumière, les qualités du film s'effacent, ses faiblesses prennent du relief. Le film se termine sur un fondu qui correspond à l'état du spectateur à la fin d'1h40 de film moyen, trop long ou trop court, décevant parce que prometteur, peut-être pas mauvais, certainement loin d'être bon. Une erreur excusable.

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