Vice-Versa, Pixar, 2015.
Pitch.
5 sentiments/personnages gèrent le cerveau d’une Américaine de 11 ans.
5 sentiments/personnages gèrent le cerveau d’une Américaine de 11 ans.
Le Pari Pixar
Pixar est
un studio respectable : pour ses échecs, ses choix audacieux, ses options
tantôt faciles, tantôt suicidaires. Pixar est un studio qui ne peut pas être
comparé avec ses « pairs » : même dans l’échec, il ne tombe jamais
totalement dans les arcanes du film « pour enfants » tel que je l’ai perçu chaque fois
que je l’ai vu ces dernières années – chez Dreamworks, chez les connards qui n'ont pas de nom de L’Âge de Glace, tout ça tout
ça. J’ai un souvenir particulièrement désagréable du moment où j’ai vu dans un cinéma pathétique de Vannes quand j’étais
animateur enfants, l’indescriptible,
l’immonde Kung Fu Panda, film suave,
dégoulinant, mal agencé, qui en venait à devenir agaçant à ses propres yeux.
Tout y était médiocre, attendu, suintant le politiquement correct et la vanne millimétrée :
l’aseptisation enfantine au dernier degré – pour faire rire le gosse de 8 ans,
mais le film d’été qui réjouirait aussi Papa et Maman – faut pas déconner non
plus, et les conforteraient dans l’idée qu’un enfant n’a besoin que d’une
chose : du sur-mesure bien cadré et bien débile.
Pixar, même dans ses plus lourds échecs, fait un pari souvent – toujours ? – plus audacieux que ses concurrents : celui de s’attacher à des parties plus sombres de l’enfance, à son subconscient et ses non-dits. En cela, ils sont les cousins lointains de Miyazaki et des studios Ghibli : dans l’innocence, le fantastique ou le réalisme, on vient questionner la part sombre de l’enfance et donc la part sombre de l’âge adulte. Je les laisserai tout de même séparés, puisque là où Ghibli pour viser la poésie (j’allais dire la « poétique », je lis trop les Inrockuptibles) choisit souvent la lenteur, le fantasme de la nature et le gigantesque, Pixar opte toujours pour la route de l’humour – et aussi d’une certaine facilité, celle de faire des histoires à « péripéties », où courses-poursuites et retournements de situations s’enchaînent sans fin, ce qui d'un point de vue général devrait avoir le don de me gaver sévère. Sauf que dans Toy Story 3, Wall-E ou Monstres & Cie, c’est virtuose, et parfois davantage. Pour faire justice à Pixar, j'ajoute que les 5 premières minutes de Là-Haut contredisent tout ce que je viens de dire, en proposant le prologue le plus poétique et le plus déprimant de l’histoire du cinéma d’animation grand public (cela étant, j’ai pas surkiffé le reste du film, bref, c’est comme ça, la vie, la vraie, Auchan).
Parier ou ne pas rire
Vice-Versa
est vraiment un putain de bon film. Il correspond à tout ça : la poésie, l'humour, le profond. En explorant
les tréfonds du cerveau d’une gamine, Pixar fait un tour de force à tomber par
terre. On reste – en apparence – dans du très accessible : c’est à mourir
de rire – littéralement, c’est bien fait, y’a peu de temps de respiration, y’a
une véritable efficacité à la réalisation. Du très bon, très facile en un sens.
On a 5 personnages bien démarqués, personnalités hyper classiques, à la limite
du caricatural. Mais c’est drôle, ça fonctionne. Les vannes passent, les
premières idées de réalisation sont ultra-convaincantes (rien que l’utilisation
du Train of Thought…). On sent à la
fois une forme de facilité dans certains choix (la Colère est colérique, la Peur a très peur...), et le début d’un pari assez casse-gueule. Il faut accepter
de suivre la métaphore à l’intérieur du cerveau de Riley, la petite fille, et
sa vie extérieure somme toute assez simple (aime le sport, l’école, mais
déménage, fusha, fusha, fusha). Mais rien que ça c’est dingue : créer l’imaginaire
le plus barré qui soit sur la banalité, sur une histoire finalement complètement random.
Bref, ça me sidère que ce genre de paris soient encore fait pour un film à 200
millions de dollars de budget.
Une fois la
surprise du départ passée, en vient une autre. Puis une autre. Puis une autre.
Et ça ne s’arrête jamais. Le film est un concentré invraisemblable de
créativité et de profondeur, d’utilisation du très simple pour montrer l’enfoui :
les personnages évoluant dans le cerveau de Riley passent par les zones de
mémoire à long terme, de l’imaginaire, des pensées abstraites, du subconscient.
Chaque fois, la mise en scène est une claque dans la gueule, on ajoute des
interprétations du fonctionnement cérébral à des réflexions mordantes et
souvent pliantes sur l’âme humaine. Pixar utilise tous les clichés sur le
traumatisme, l’oubli, la construction de la personnalité, et les retourne
pour en faire un enjeu de cinéma, un enjeu d’humour surtout. Parce que ce film
est vraiment profondément drôle. Je dois même dire que je me suis pas marré au
cinéma comme ça depuis longtemps (nan, en
fait je mens, ça fait depuis Birdman,
mais je trouve que c’est tellement rare de bien se marrer au cinoche qu’il faut un peu forcer le trait). La moitié du
film, planté sur ma gueule était un énorme smile, quand ce n’était pas des
éclats de rires partagés avec mes voisins.
Les larmes
Parce que l’autre
moitié du film, j’étais au bord des larmes. Au bord des larmes, j’vous dis. Au
moins 5 ou 6 fois dans le film, en traitant des thématiques de la perte, de la
croissance, de la dépression infantile, le film vient vous bouffer les tripes
et vous remettre la tronche dans votre enfance perdue. Il le fait avec beaucoup
de délicatesse et de sensibilité, mais néanmoins avec une violence certaine. La
perte des amis, d’une certaine forme d’innocence, tout ça est très bien fait.
Mieux ! Jamais le film ne tombe dans le genre de conneries qu’on entend en
permanence (surtout sur les réseaux sociaux, assez souvent de la part de jeunes
mères/pères de famille analphabètes, parfois adeptes de la peine de mort et de
la défense des chatons maltraités) : « c’est tellement heureux un enfant, il a le
sourire d’un p’tit ange ». Au contraire, le film ne nie jamais la part
nostalgique de l’enfance, sa dimension en apesanteur qui s’arrête
progressivement ou brutalement à mesure que l’on grandit. Il traite directement
de la fin de l’innocence, qui devient prise avec une nouvelle forme du réel,
une nouvelle forme de rapport au monde. Riley pète un câble après une perte, et
elle fait ce que – personnellement – j’ai dû faire un million de fois entre mes
8 et mes 22 ans (oui, je suis assez lent comme garçon) : fantasmer sans
réflexions sur la fuite (la sienne), sur l’anéantissement du réel, sur une certaine pulsion
de mort en un sens. Et là encore, le film accompagne cette évolution avec beaucoup
de tendresse, avec humour, et avec des moments absolument déchirants. Il y
avait un moment dans le film où à chaque fois que Tristesse prenait la parole,
j’avais envie de fondre en larmes avec elle. Le film est très émotionnel, et je
n’en divulguerai pas la fin. D’aucuns y voient l’annonce d’un second opus :
je pense que ces gens sont des imbéciles (pardon, j’suis un peu rugueux aujourd’hui).
La fin est une fin parfaitement valable, parfaitement maîtrisée, parfaitement
ouverte. Elle n’est absolument pas là pour annoncer sa suite, elle est là pour
clore le récit, et de la plus belle des manières. Film de dingue.
Attention : film pour adultes. Ou pour enfants.
À chaque
fois que je pense à certains défauts de ce film, je me dis : « oui,
mais c’est un film pour enfants… ». Alors, oui, c’est un (tout petit) peu
simpliste, les émotions ne se résumant pas à cinq concepts. Oui, c’est un brin
classique dans le fond, avec une histoire simple sur la famille américaine, sur l’enfance,
sur le début de l’adolescence. Quand je pense à certaines de ses qualités, je me
dis : « oui, mais c’est pas un film pour enfants ». C’est dur, c’est
profond, c’est parfois déprimant, c’est assez brillant – sans doute trop pour
les plus petits – dans son propos. Ça va même loin dans l’interprétation de ce
qu’est la tristesse dans la vie quotidienne, je trouve que le film est ici au
contraire plutôt politiquement incorrect, puisqu’en en faisant en définitive la
pulsion de vie finale, contre la joie artificielle. En cela, Vice-versa aurait les armes pour être
considéré au rang de certains Miyazaki. Peut-être pas des tous meilleurs, mais
pas loin. Un truc inclassable, un pari vraiment barré, qui fourmille de
références cinématographiques, littéraires, un OVNI dans la chaleur, un gros
blockbuster qui tâche et fait le plus gros démarrage depuis Avatar, une bulle d’enfance
perdue, une réflexion sur le temps, sur le mal-être, sur la force du rire et la
puissance plus grande encore de nos larmes.