jeudi 16 octobre 2014

Gone Girl – La Roche Tarpéïenne est proche du Capitole

Gone Girl, David Fincher, 2014.

Pitch.
Apparemment, Mr. et Mrs. Dunne s’aiment à New York, puis dans le Missouri. Puis elle disparaît.

Image.
Contrairement aux apparences, je ne suis pas un inconditionnel de Fincher. Je pense Alien3 original mais très inégal, Se7en (toujours) absolument génial, Panic Room mauvais voire très mauvais, The Game plutôt réussi sans l’être absolument, j’ai trouvé au Social Network quelques fulgurances mais aussi un vrai manque de créativité, et son Millenium de facture honnête mais sans aucun intérêt particulier. Reste Fight Club, et Benjamin Button, où l’on peut débattre, mais qui ont plutôt mes faveurs. La filmographie de Fincher est inégale, on sait le réalisateur obsessionnel, insupportable. Les acteurs ne voulant plus jamais tourner avec lui sont légions, et le force à renouveler, tout le temps, son casting. Mais il est un film dont on ne débat plus. Zodiac, que j’avais eu le plaisir de voir deux fois au cinéma, est un monument, un film qui étire les codes du genre, qui sait créer une atmosphère de dingue, qui étrille le spectateur et réussit à proposer une fable mélancolique sur un tueur à l’identité encore incertaine. Zodiac est une cathédrale de 2h30, qui prend le spectateur à contre-pied, qui filme – tellement bien – des acteurs majeurs des années 2000, et qui fait sortir le meilleur de Fincher. Le film n’a pas été assez apprécié par le public, notamment à cause de son côté lent et déceptif.

Gone Girl est de la même trempe. Peut-être pas au niveau, faute d’un scénario aussi précis que Zodiac, mais tente au moins de s’y élever. Fincher filme le récit entrelacé et impossible à démêler d’un couple d’Américains actuel, qui s’aime, s’écharpe et sombre. Le récit de base fait énormément penser à Revolutionary Road, et emprunte même certains de ses scènes, presque plagiées – la rencontre, l’amour, la chute – en les passant en accéléré. Le récit oscille sans cesse entre le présent, la disparition d’Amy Dunne, et le récit de cette relation fusionnelle, banale, hystérique.

La réalisation est impressionnante. Même avant d'être foncièrement convaincu par le film, j’y ai été happé, pris. L’ouverture est fabuleuse. Les critiques l’ont assez dit, mais il faut avouer que la photo est belle, vraiment belle. Elle colle à l’hyper réalisme (apparent) que le film propose, décodant les petites hypocrisies et les questions existentielles sur le couple en réussissant à filmer l’amour, l’ennui, la violence dans un couple moderne. La mise en scène est magistrale, le montage est un plaisir, l’image, en règle générale, est belle à crever. L’esthétique du film est parfaite, son rythme est très travaillé, sa bande son est dingue. Pas besoin que j'utilise plus de superlatifs (je n'en ai plus de toute façon), c'est très bon.

Acteurs.
2nde incroyable prouesse de ce film : Fincher arrive à rendre des acteurs médiocres magnifiques. Ou plutôt un acteur médiocre magnifique. Fucking Ben Affleck. Je pense qu’il est peu d’acteurs dans le monde que je méprise davantage que le bellâtre de Pearl Harbor et l’acteur raté de Daredevil. Et plus encore, on pourrait s’attendre à ce que Fincher en fasse « le rôle de sa vie », et se serve de lui comme Jolie dans L'Echange (atroce) ou Day Lewis dans There Will Be Blood (magnifique): dans les deux cas, c'est du rôle à Oscars, du rôle fait pour briller, et même quand c'est bien fait, ça peut rester un peu insupportable. Mais non, ici, nous sommes beaucoup plus proche de Malcom McDowell dans If… et Orange Mécanique, ou encore d'Adam Sandler dans Punch Drunk Love. Un rôle sur mesure, certes, mais qui ne semble jamais fait pour la gloire. Simplement pour le récit. Affleck est drôle, touchant dans le rôle de l’Américain moyen, violent, nul et charmeur. Il a relativement peu de liberté dans son jeu, c'est un fait, mais évolue sans jamais se foirer, reste crédible du début à la fin. Il joue aussi parfaitement son rôle profondément sexualisé, profondément ambigu, profondément strident. 

Rosamund Pike, que je n’avais jamais vue à l’écran, est assez convaincante, en femme mélancolique et délaissée. Parfois remuante (parfois). Je ne suis pourtant pas totalement conquis par sa performance – étonnamment – car je la trouve presque effacée par un second rôle… Ce qui ne m'arrive quasiment jamais. Carrie Coon est simplement dingue. Oh mon Dieu. Cette actrice inconnue – de théâtre – que je connais par son rôle dans The Leftovers, où elle joue une femme instable et paumée, m’a bluffé. Elle joue la sœur jumelle d’Affleck, emmenée avec lui dans les misères du récit et donne au film une touche très sombre, très grinçante. Elle incarne cette comédie noire. J’adore constater ce genre de trucs : trouver un second rôle qui est parfait. Vraiment, cette actrice m’étonne. Elle sait jouer dans tous les registres et réussit à avoir une présence incroyable à l'écran sans que la caméra ne s’intéresse foncièrement à elle. Carrie Coon. Parfaite.

Le reste du casting est plus banal. Neil Patrick Harris n’est jamais crédible, jamais bon, mais de toute façon, je n’attendais pas autre chose, ce mec est clairement un acteur médiocre. La flic est bien. Certains autres personnages (flics, journalistes) sont parfois un peu caricaturaux. Rien de bien grave.

Scénar’ et fond.
Qu’il est difficile de parler de ce film sans déflorer son scénario. C’est presque impossible. Je vais essayer. Le film se divise en deux. Une première partie, classique, fait dans le thriller de base, et est extrêmement excitante. Une seconde, plus invraisemblable, propose une fable plus féroce sur le couple, l’ennui, la manipulation et les médias de masses. J'aime énormément la première partie, toute en finesse, très efficace. Mais je dois avouer qu’une fois la sidération passée, la deuxième partie est tout aussi passionnante, sinon davantage.

C’est assez génial de la part de Fincher. Au lieu de te refaire un Se7en (thriller classique) ou un Zodiac (thriller déceptif), il te fait son twist (très, très attendu mais qu'importe) après 1h30 de film, et s’enflamme sur une histoire complètement à côté de la plaque. Mais son attention à déconstruire le couple et l’Amérique contemporaine survit à cette coupure brutale. Il s’en balance même. Il continue à tisser son récit au-delà de son scénario, presque. Il continue cette fable noire, railleuse, malgré ses invraisemblances. Il dépeint une Amérique vraiment laide, dépressive, gangrenée par ses classes intellectuelles, pourrie par ses pulsions animales, tuée par un rêve américain impossible à accomplir. Il dépeint une Amérique en carton pâte qui ne sait plus rien. Ben Affleck est génial dans ce rôle. Le type perdu, le pire et le meilleur des Américains. Lâche, fourbe, sexy et fun.

Le fond du film est tout de même très sombre, puisque ce qu’il nous dit, c’est que le regard (du public sur le privé) est ce qui fait et défait les vérités. C’est certes une réflexion classique, mais le réalisateur la pousse à un point qui est profondément dérangeant. Le média est ce qui nous condamne tout à la fois au cynisme, à la démocratie sale, à l’idéalisme gerbant, aux libertés dévoyées. Le média est ce qui fait et défait les femmes et les hommes. Le média est ce qui fait et défait les atroces vérités et les odieux mensonges. Toute cette critique là, bien qu’elle puisse sembler facile, est poussée tellement loin qu’elle en devient géniale – c’est d’ailleurs parce que le scénario est aussi caricatural que la critique peut aller aussi loin. C’est l’unique raison pour laquelle je pardonne toutes les errances du récit : l’histoire est tarée parce qu’elle doit amener à cette conclusion sur les médias, sur le couple, sur l’Amérique. C’est un coup de projo direct à la gueule du spectateur, aveuglé  « je devrais dire ébloui »  qui d’abord fout un peu la gerbe, et ensuite permet de voir la profondeur de ce putain de film.

Parce que oui, il m’a fallu presque 48 heures pour le réaliser. Gone Girl est un putain de film. 


Images en tension.
Gone Girl est un putain de film, parce que c’est comme votre cher et tendre (j’adore les métaphores sur le couple, ces derniers temps), ses défauts sont  doivent être  ses qualités. Il faut aimer ses travers, ses réflexes agaçants, ses manières de mentir, de se mentir, de se faire remarquer. C’est parce qu’il est attendu, charmeur, malin, sans concession, plein de raccourcis et de caricatures, que ce film est profondément puissant. C’est parce qu’il se tamponne – ou plutôt parce qu’il les détruit à coups de club de golf – des codes du thriller, des codes de la vraisemblance, parce qu’il rompt en permanence le contrat narratif, qu’il est génial.

D’abord parce qu’il propose une réflexion sur le rapport à l’autre, le couple, le sexe qui est extrêmement réjouissante. Il va même très loin dans la place de l’attirance au sein du couple, des relations sexuelles, celle du mensonge, du jeu de rôles, du besoin de se mentir à soi même et de mentir à l’autre pour garder vif, à vif, un couple à la dérive. Le regard qui s’introduit dans l’intimité de ce couple est génial, parce qu’il assume être tout à la fois dans le voyeurisme et dans l’analyse. Et c’est parce qu’il accepte ces deux dimensions que Fincher réussit à créer cette atmosphère malsaine et fascinante: un mélange entre cette sphère privée pleine de sueur, de sentiments brutaux et excitants avec la sphère publique aseptisée et donneuse de leçons. 

Et puis le cadeau, le vrai, c’est qu’une fois ce film vu, il demande à être revu. C’est une réflexion sur l’image et sa manipulation telle que je n’en avais plus vue depuis Caché. Rien que cette affiche. Non mais regardez-moi ça, c’est magnifique : les yeux fondus dans le paysage, la posture de Ben Affleck, et son corps qui se dissout dans l’image comme sur une chaîne hertzienne. Le film entier joue avec notre regard, et il est permis de penser que nombre de plans – de flashbacks, de récits heureux ou tragiques qui sont présentés tout au long du film – sont largement inventés ou fantasmés par les personnages. À la réflexion, l’on en vient à se dire que tout ce que l’on a vu dans le film est une tension dans un couple, où deux visions d'une même réalité s'affrontent, où nous sommes toujours dupés, parce que nous nous reposons sur l’image. Comme Zodiac, le film mérite certainement un deuxième visionnage. Je trouve qu’à la fin, il y a même du Bret Easton Ellis dans la volonté de rompre avec les codes narratifs, de revenir en arrière dans l’histoire, de donner une fin absurde à un récit absurde. C’est le même principe que dans le bouquin Les Lois de l’Attraction, une réflexion sur la perception de la réalité en la déformant, en la caricaturant, en l’analysant pixel par pixel ; et vient pour finir s'imposer la froideur humaine qui supplante tout, qui sublime tout, qui se suffit à elle-même. C’est sans doute trop cérébral, mais c’est vraiment très, très beau.

Gone Girl est certainement un film imparfait, mais il est foncièrement passionnant. Passionnant, je vous dis.

vendredi 3 octobre 2014

Sin City: A Dame to Kill For – Lorsque ton passé t'appelle, ne réponds rien, il n'a rien de nouveau à te dire

Sin City : A Dame to Kill For, 2014, Frank Miller & Robert Rodriguez.

Cela me fait tellement de mal de commencer cette critique. Neuf ans d’attente, plus ou moins circonspecte, certes, mais pour une telle déception. J’aurais tellement voulu aimer ce film, même au 3e degré, même de manière aussi irrationnelle que Fight Club, même 10 ans plus tard, même seul contre tous… Mettons-nous d’accord : je ne déteste pas le film, mais je l’aime pas non plus. Sin City : A Dame to Kill For, ou Sin City 2, est un ratage, pas complet, pas total. Juste un film raté. 


Pitch.
Basin City, toujours. Mêmes personnages, ou presque. Marv continue à briser des crânes, Bruce Willis et Jessica Alba font du fan service par une resucée de leur histoire de deuil et de vengeance. Le joueur Joseph Gordon-Levitt arrive en ville. Et Dwight, ô pauvre Dwight, est rejoint son amour atroce, Ava Lord, jouée par l’immense Eva Green. Ah oui, et Ray Liotta joue deux minutes dans le film aussi.


Réalisation.
Pour comprendre la sidération qui fut la mienne en voyant Sin City : A Dame to Kill For, il faut se mettre dans le contexte. Pour moi, Sin City – comme œuvre graphique puis comme film – est un chef d’œuvre. Le film, bien sûr, est un monument de beauté noire. Les comics, surtout, sont un sommet d’art graphique, de roman noir, d’histoires qui puent l’alcool et la prostitution et la morale tantôt nihiliste, tantôt réactionnaire. Je me souviens encore, lorsque l’on m’a offert le comics A Dame to Kill For – censé être le récit central du film donc théoriquement génial – les frissons ressentis alors. Dans cette histoire sombre, que le film premier du nom n’avait pas abordée, je me souviens que j’avais trouvé que c’était – de loin – l’histoire la plus dramatique, la plus subtile, la plus belle, que Frank Miller nous ait proposée. C’était une œuvre de violence sourde, un histoire de schizophrénie, une tragédie sur l’amour perdu, sur la violence des sentiments. C’était une putain de claque. Dwight – interprété par Clive Owen avant, par Josh Brolin maintenant, si vous suivez – était un homme épris, un type perdu, aux abois. Il sombrait. Je me souviens d’avoir lu cette œuvre avec une fascination d’enfant, avec la conscience de la simplicité – et non pas de la faiblesse, ce qui fait toute la différence – de ces romans noirs très basiques. C’était cette simplicité qui faisait le cœur, le charme, de ces personnages caricaturaux, de ces personnages dantesques. Sin City, c’était ça, une œuvre populaire impressionnante, belle, simple, simpliste.

Robert Rodriguez vient nous rappeler à quel point il est un médiocre réalisateur. Je pense qu’il y prend même du plaisir. Il vient nous cracher à la gueule que Sin City 1 était un accident, et que Desperados 2 ne l’était pas. Il vient nous dire que Machete Kills Again, c’est ça, son style. Il reprend, mais avec la finesse d’une grue de démolition, les personnages et les histoires laissées pour mortes dans le premier opus, et enchaînent à la tronçonneuse des plans graphiques et des répliques – j’allais dire de série B, mais nous en sommes trop loin… de séries… pffff, de la telenovela mexicaine, pour vous dire à quel point c’est absurde – qui sont certes des copies de leurs modèles, mais en reste tellement éloignées. Le montage est un massacre pur et simple. Quiconque n’a pas lu les comics ne peut rien suivre, rien apprécier, rien comprendre ; quiconque les a lus est frustré, se tortille sur son siège. Les images se suivent, les scénarios aussi, c’est très faible. 

Pourtant, Rodriguez a cette patte. Cette petite virtuosité. Certains plans sont magiques. Certaines scènes sont belles. Eva Green, que j’aime tant, est corps et âme à l’écran, malgré des répliques maladroites et sans le supplément d'âme qu'il leur faudrait, et se donne physiquement au film. Elle est splendide. Jessica Alba, dont je ne suis pas un adorateur éperdu, est bien meilleure que dans le premier opus. Elle est même très forte. Tous les autres acteurs – Rourke, Gordon-Levitt, Brolin, ou même Willis et Liotta, quand bien même ils sont plus figurants qu’acteurs – respectent leur contrat honorablement. Ils sont (plutôt) bons, ne loupent pas grand-chose. Et pourtant, ça ne prend jamais. Dans l’absolu, le film fourmille d’idées. De style, en réalité. Le jeu du clair/obscur et des couleurs – même attendu – reste plaisant. Rodriguez sait filmer des corps, des tronches, des caricatures. Il le fait bien, il sait filmer le glamour, le sensuel, le sexuel, le glauque. Il sait filmer la violence. Quelques plans laissent pantois : Gordon-Levitt cognant un adversaire en ombre sur un mur de ruelle ; Alba se repliant en position fœtale ; toutes les planches issues du comics A Dame to Kill For restent magnifiques. Donc (un peu) gâchées, c’est ça le pire. Car la réalisation est d’une fadeur qui fait peur. Les seuls plans grandioses sont ceux qui sont directement issus d’un travail que l’on devine manuel, de dessins que l’on sait ou imagine reproduits à l’écran. Là, la magie opère, encore, un peu. Mais le scénario, les circonstances du film, viennent gâcher toutes ces intentions et le ramènent au statut d’œuvre mineure, trop mineure.

La 3D est… minable. Vraiment, depuis l’abominable Alice au Pays des Merveilles de Burton, je n’avais pas ressenti un tel scepticisme à l’égard de cette technique. C’est gadget, c’est inutile, c’est presque agaçant.

Pour finir, j’ai trouvé la bande son pathétique. Attendue. Inadéquate. Jamais enivrante, jamais surprenante.

Le rythme du film, j’y reviens, est extrêmement bâtard. Les plans s’enchaînent comme des planches de BD, mais c’est un film, bordel, cela demande un autre souffle, un autre rythme, une autre envie. Ici, tout est condensé, accéléré. Et puis enfin, le montage à la Pulp Fiction, ça va, on a vu et revu. Il faut que ce soit bien fait. Ici, c’est tellement artificiel, tellement en retard… Comme si rien n’avait existé entre le premier et le second opus. Ou pire, comme si le réalisateur avait régressé. C’est vraiment triste de vouloir – tellement – apprécier un film, et d’être constamment baffé par le réalisateur, par sa paresse, par son style ampoulé, par ce décalage permanent vers le mauvais goût.


Scénarios.
Si la réalisation – le montage surtout – est bâclée, que dire des « scénarios » du film ? Sin City trouvait un équilibre dans les histoires suivantes (si, si, souvenez-vous) :
Introduction par le tueur à gages.
Hartigan Partie 1.
Marv.
Dwight.
Hartigan Partie 2.
Conclusion par le tueur à gages.

Sans déflorer le film, disons qu’ici, l’articulation des scénarios est complètement débile. À la limite, le premier opus se permettait des libertés de scénarios, jouait avec le temps, croisait les chemins et les actions. Mais ici, c’est un assemblage d’histoires, c’est vraiment du copier-coller, c’est dégueulasse au possible. Mais qu’importe au fond : l’important dans Pulp Fiction n’est peut-être pas foncièrement l’articulation du récit, mais sa qualité, son rythme, les réponses des événements les uns aux autres. Que l’histoire se passe chronologiquement ou pas, qu’importe, pourvu qu’il y ait l’ivresse.

Le scénario de Dwight, je l’ai mentionné, a été détruit, bâclé, violé. La plus belle histoire de Sin City est ratée à l’écran. Pas totalement. Juste assez pour m'énerver. C’en est triste. Le scénario de Marv fait du fan service inutile. Le scénario de Jessica Alba, bien qu’attendu de la première à la dernière minute, s’en sort encore le mieux. Le scénario du perso de Gordon-Levitt, écrit pour l’occasion – comme les deux précédents d’ailleurs, montrant le cynisme sans bornes de Miller mais bref  est pas trop mal, plutôt sympa, sans plus. Pourquoi ne pas reprendre les scénars des comics existants ? Par fan service, certainement. Pourquoi ne pas avoir davantage travaillé ces scénars inédits ? Pourquoi ne pas avoir adapté L’Enfer en Retour, certainement le comics – même si ce n’est pas mon préféré – le plus abouti de la saga ? Tout cela est mystérieux pour l’immense fan de Sin City que je suis.

Et puis voilà, on vient nous dire toutes les trois secondes : « vous avez vu, c’est comme dans le premier ! On reprend les répliques, parfois au mot près, tout ça ». Putain, mais arrête de le dire, de le souligner, de le surligner, et fais-le ! Montre-le ! Filme-le ! Ecris-le ! Ne reprends pas les phrases bateaux du précédent, et invente, innove, ou même pas d’ailleurs, juste ressers-moi du bon, et pas du réchauffé.

Mais pire, le film est tout aussi brouillon et faible pour n’importe quel néophyte. Je pense que ce n’est pas que parce que je suis un fan de l’œuvre que je suis déçu par ce film. Simplement qu’il est, de toute façon, quel que soit l’angle adopté, décevant. Il joue la carte de la série Z à 800%, et ne touche jamais sa cible. Il enchaîne les situations, les répliques attendues – ou pas, peu importe –, montre ses muscles, fait dans la redite… c’est dur. Très dur.

Mes camarades de visionnage ont reproché au film d’être trop violent. Je n’ai pas trouvé que cela était vraiment dommageable. Non, il est inabouti, surtout. Ultra-violent ou pas, peu importait.

Le pire, c’est que je savais ce que j’allais voir. Je savais que Miller allait me resservir le même plat. Mais bon. J’attendais, au moins, un peu de saveur, de regoûter, un peu, du passé.

Après, j’en fais beaucoup, peut-être parce que mon attente était, même avec mes craintes initiales, assez forte. Le film se regarde, entendons-nous, peut faire encore frémir, rire, peut-être émouvoir.


Film noir et série Z.
Ce qui m’énerve d’autant plus, c’est que je continue d’aimer le film noir, et même les parodies de film noir. J’aime la caricature du film. J’aime même ce film, dans la théorie. Je ne suis absolument pas dérangé par le fait que toutes les femmes du film soient habillées de la manière la plus sexuelle et la plus caricaturale qui soit. Je ne suis pas gêné par les clichés permanents sur les hommes violents ou la morale cynique du film. Je ne suis pas gêné par les rires gras de méchants des méchants. Je ne suis pas gêné, j’aime même, les intonations surjouées d’Eva Green et cette présence oppressante, sexuelle – assumée comme telle par le réalisateur. Je ne suis pas gêné par le sexisme ambiant du film. Je ne suis pas gêné par la beaufitude ambiante du film. C’est même d’ailleurs cela qui pourrait être réussi. Faire du beau avec du laid. Faire du médiocre le réceptacle de la beauté graphique, physique, scénaristique. Rester dans du simple, du simplisme, du débile, et sortir la moelle, la vigueur, la beauté de cette simplicité. C’est le côté réac’ de Miller que j’aime dans ses comics. Faire de la caricature une couleur de la beauté.

Mais ici, c’est simplement faible, très faible. Rien n’est pensé. Tout semble tourné à la va-vite, sans réflexion. Les scénarios semblent vite écrits, vite tournés, vite montés. Cela n’enlève, là non plus, rien à l’intention du film. Quelques bonnes surprises restent, encore une fois, tout n’est pas à jeter : certains twists sont bien faits, certaines chorégraphies sont agréables à voir, certains récits, même simples, sont efficaces. Mais c’est tellement loin de l’objectif, le résultat reste décevant, ne capte jamais la magie de son modèle. Il faut peut-être que j’arrête d’aller voir des adaptations d’œuvres littéraires ou para-littéraires au cinéma.

Le seul argument que je pourrais me voir opposer est que je prends le film au premier degré, quand il devrait l’être au 10e. Mais Sin City n’est pas Machete. Il doit être plus beau, plus esthétique, plus profond qu’une simple série Z. C’est même l’inverse. Ça devrait être en apparence une série Z, et en réalité un chef d’œuvre. Comme le premier.


Conclusion logique : Sin City 2, c’est comme une ex.
Pour rester dans le thème du sexisme dans lequel le film se complaît avec toute la finesse du monde, disons que Sin City 2  me fait le même effet que de revoir une de mes ex. La personne que l’on a aimé n’existe parfois plus, et c’est ça le plus dur. Que les gens changent, que les gens vous déçoivent, c’est une chose. Mais non, ce qui est le plus difficile, c’est d’accepter que la personne en face de vous, celle que vous pensez connaître, n’existe plus, qu’elle n’est plus celle que vous avez aimée, qui vous a remué, qui vous a touché. Je ne reproche pas à Sin City 2 d’avoir « changé » ou d’être resté le même, il me rappelle simplement ce que je ne suis plus, et ce que ce film n’est plus tout à fait. Un film où un blockbuster pouvait aussi être une claque, et pas seulement visuelle. Un film où la violence pouvait encore être sourde. Un film où surligner toutes les répliques, où ventiler tous les clichés possibles était utilisé à bon escient.

Sin City 2, c’est le passé qui vient vous dire qu’il n'est plus. Et qu’il est vain de vouloir s’y replonger avec des attentes présentes. Ce n’est pas non plus désagréable. C’est la disparition d’une certaine nostalgie. Et ce n’est pas que pénible.

Sin City 2, malgré tout, est un aboutissement, comme une rupture qui n’a jamais été formulée. Il fait du bien, aussi, parce qu’il permet de prendre du recul, parce qu’il est assez innocent pour être touchant ; parce qu’il est assez médiocre pour passer à autre chose. Pour en parler au passé.