vendredi 3 octobre 2014

Sin City: A Dame to Kill For – Lorsque ton passé t'appelle, ne réponds rien, il n'a rien de nouveau à te dire

Sin City : A Dame to Kill For, 2014, Frank Miller & Robert Rodriguez.

Cela me fait tellement de mal de commencer cette critique. Neuf ans d’attente, plus ou moins circonspecte, certes, mais pour une telle déception. J’aurais tellement voulu aimer ce film, même au 3e degré, même de manière aussi irrationnelle que Fight Club, même 10 ans plus tard, même seul contre tous… Mettons-nous d’accord : je ne déteste pas le film, mais je l’aime pas non plus. Sin City : A Dame to Kill For, ou Sin City 2, est un ratage, pas complet, pas total. Juste un film raté. 


Pitch.
Basin City, toujours. Mêmes personnages, ou presque. Marv continue à briser des crânes, Bruce Willis et Jessica Alba font du fan service par une resucée de leur histoire de deuil et de vengeance. Le joueur Joseph Gordon-Levitt arrive en ville. Et Dwight, ô pauvre Dwight, est rejoint son amour atroce, Ava Lord, jouée par l’immense Eva Green. Ah oui, et Ray Liotta joue deux minutes dans le film aussi.


Réalisation.
Pour comprendre la sidération qui fut la mienne en voyant Sin City : A Dame to Kill For, il faut se mettre dans le contexte. Pour moi, Sin City – comme œuvre graphique puis comme film – est un chef d’œuvre. Le film, bien sûr, est un monument de beauté noire. Les comics, surtout, sont un sommet d’art graphique, de roman noir, d’histoires qui puent l’alcool et la prostitution et la morale tantôt nihiliste, tantôt réactionnaire. Je me souviens encore, lorsque l’on m’a offert le comics A Dame to Kill For – censé être le récit central du film donc théoriquement génial – les frissons ressentis alors. Dans cette histoire sombre, que le film premier du nom n’avait pas abordée, je me souviens que j’avais trouvé que c’était – de loin – l’histoire la plus dramatique, la plus subtile, la plus belle, que Frank Miller nous ait proposée. C’était une œuvre de violence sourde, un histoire de schizophrénie, une tragédie sur l’amour perdu, sur la violence des sentiments. C’était une putain de claque. Dwight – interprété par Clive Owen avant, par Josh Brolin maintenant, si vous suivez – était un homme épris, un type perdu, aux abois. Il sombrait. Je me souviens d’avoir lu cette œuvre avec une fascination d’enfant, avec la conscience de la simplicité – et non pas de la faiblesse, ce qui fait toute la différence – de ces romans noirs très basiques. C’était cette simplicité qui faisait le cœur, le charme, de ces personnages caricaturaux, de ces personnages dantesques. Sin City, c’était ça, une œuvre populaire impressionnante, belle, simple, simpliste.

Robert Rodriguez vient nous rappeler à quel point il est un médiocre réalisateur. Je pense qu’il y prend même du plaisir. Il vient nous cracher à la gueule que Sin City 1 était un accident, et que Desperados 2 ne l’était pas. Il vient nous dire que Machete Kills Again, c’est ça, son style. Il reprend, mais avec la finesse d’une grue de démolition, les personnages et les histoires laissées pour mortes dans le premier opus, et enchaînent à la tronçonneuse des plans graphiques et des répliques – j’allais dire de série B, mais nous en sommes trop loin… de séries… pffff, de la telenovela mexicaine, pour vous dire à quel point c’est absurde – qui sont certes des copies de leurs modèles, mais en reste tellement éloignées. Le montage est un massacre pur et simple. Quiconque n’a pas lu les comics ne peut rien suivre, rien apprécier, rien comprendre ; quiconque les a lus est frustré, se tortille sur son siège. Les images se suivent, les scénarios aussi, c’est très faible. 

Pourtant, Rodriguez a cette patte. Cette petite virtuosité. Certains plans sont magiques. Certaines scènes sont belles. Eva Green, que j’aime tant, est corps et âme à l’écran, malgré des répliques maladroites et sans le supplément d'âme qu'il leur faudrait, et se donne physiquement au film. Elle est splendide. Jessica Alba, dont je ne suis pas un adorateur éperdu, est bien meilleure que dans le premier opus. Elle est même très forte. Tous les autres acteurs – Rourke, Gordon-Levitt, Brolin, ou même Willis et Liotta, quand bien même ils sont plus figurants qu’acteurs – respectent leur contrat honorablement. Ils sont (plutôt) bons, ne loupent pas grand-chose. Et pourtant, ça ne prend jamais. Dans l’absolu, le film fourmille d’idées. De style, en réalité. Le jeu du clair/obscur et des couleurs – même attendu – reste plaisant. Rodriguez sait filmer des corps, des tronches, des caricatures. Il le fait bien, il sait filmer le glamour, le sensuel, le sexuel, le glauque. Il sait filmer la violence. Quelques plans laissent pantois : Gordon-Levitt cognant un adversaire en ombre sur un mur de ruelle ; Alba se repliant en position fœtale ; toutes les planches issues du comics A Dame to Kill For restent magnifiques. Donc (un peu) gâchées, c’est ça le pire. Car la réalisation est d’une fadeur qui fait peur. Les seuls plans grandioses sont ceux qui sont directement issus d’un travail que l’on devine manuel, de dessins que l’on sait ou imagine reproduits à l’écran. Là, la magie opère, encore, un peu. Mais le scénario, les circonstances du film, viennent gâcher toutes ces intentions et le ramènent au statut d’œuvre mineure, trop mineure.

La 3D est… minable. Vraiment, depuis l’abominable Alice au Pays des Merveilles de Burton, je n’avais pas ressenti un tel scepticisme à l’égard de cette technique. C’est gadget, c’est inutile, c’est presque agaçant.

Pour finir, j’ai trouvé la bande son pathétique. Attendue. Inadéquate. Jamais enivrante, jamais surprenante.

Le rythme du film, j’y reviens, est extrêmement bâtard. Les plans s’enchaînent comme des planches de BD, mais c’est un film, bordel, cela demande un autre souffle, un autre rythme, une autre envie. Ici, tout est condensé, accéléré. Et puis enfin, le montage à la Pulp Fiction, ça va, on a vu et revu. Il faut que ce soit bien fait. Ici, c’est tellement artificiel, tellement en retard… Comme si rien n’avait existé entre le premier et le second opus. Ou pire, comme si le réalisateur avait régressé. C’est vraiment triste de vouloir – tellement – apprécier un film, et d’être constamment baffé par le réalisateur, par sa paresse, par son style ampoulé, par ce décalage permanent vers le mauvais goût.


Scénarios.
Si la réalisation – le montage surtout – est bâclée, que dire des « scénarios » du film ? Sin City trouvait un équilibre dans les histoires suivantes (si, si, souvenez-vous) :
Introduction par le tueur à gages.
Hartigan Partie 1.
Marv.
Dwight.
Hartigan Partie 2.
Conclusion par le tueur à gages.

Sans déflorer le film, disons qu’ici, l’articulation des scénarios est complètement débile. À la limite, le premier opus se permettait des libertés de scénarios, jouait avec le temps, croisait les chemins et les actions. Mais ici, c’est un assemblage d’histoires, c’est vraiment du copier-coller, c’est dégueulasse au possible. Mais qu’importe au fond : l’important dans Pulp Fiction n’est peut-être pas foncièrement l’articulation du récit, mais sa qualité, son rythme, les réponses des événements les uns aux autres. Que l’histoire se passe chronologiquement ou pas, qu’importe, pourvu qu’il y ait l’ivresse.

Le scénario de Dwight, je l’ai mentionné, a été détruit, bâclé, violé. La plus belle histoire de Sin City est ratée à l’écran. Pas totalement. Juste assez pour m'énerver. C’en est triste. Le scénario de Marv fait du fan service inutile. Le scénario de Jessica Alba, bien qu’attendu de la première à la dernière minute, s’en sort encore le mieux. Le scénario du perso de Gordon-Levitt, écrit pour l’occasion – comme les deux précédents d’ailleurs, montrant le cynisme sans bornes de Miller mais bref  est pas trop mal, plutôt sympa, sans plus. Pourquoi ne pas reprendre les scénars des comics existants ? Par fan service, certainement. Pourquoi ne pas avoir davantage travaillé ces scénars inédits ? Pourquoi ne pas avoir adapté L’Enfer en Retour, certainement le comics – même si ce n’est pas mon préféré – le plus abouti de la saga ? Tout cela est mystérieux pour l’immense fan de Sin City que je suis.

Et puis voilà, on vient nous dire toutes les trois secondes : « vous avez vu, c’est comme dans le premier ! On reprend les répliques, parfois au mot près, tout ça ». Putain, mais arrête de le dire, de le souligner, de le surligner, et fais-le ! Montre-le ! Filme-le ! Ecris-le ! Ne reprends pas les phrases bateaux du précédent, et invente, innove, ou même pas d’ailleurs, juste ressers-moi du bon, et pas du réchauffé.

Mais pire, le film est tout aussi brouillon et faible pour n’importe quel néophyte. Je pense que ce n’est pas que parce que je suis un fan de l’œuvre que je suis déçu par ce film. Simplement qu’il est, de toute façon, quel que soit l’angle adopté, décevant. Il joue la carte de la série Z à 800%, et ne touche jamais sa cible. Il enchaîne les situations, les répliques attendues – ou pas, peu importe –, montre ses muscles, fait dans la redite… c’est dur. Très dur.

Mes camarades de visionnage ont reproché au film d’être trop violent. Je n’ai pas trouvé que cela était vraiment dommageable. Non, il est inabouti, surtout. Ultra-violent ou pas, peu importait.

Le pire, c’est que je savais ce que j’allais voir. Je savais que Miller allait me resservir le même plat. Mais bon. J’attendais, au moins, un peu de saveur, de regoûter, un peu, du passé.

Après, j’en fais beaucoup, peut-être parce que mon attente était, même avec mes craintes initiales, assez forte. Le film se regarde, entendons-nous, peut faire encore frémir, rire, peut-être émouvoir.


Film noir et série Z.
Ce qui m’énerve d’autant plus, c’est que je continue d’aimer le film noir, et même les parodies de film noir. J’aime la caricature du film. J’aime même ce film, dans la théorie. Je ne suis absolument pas dérangé par le fait que toutes les femmes du film soient habillées de la manière la plus sexuelle et la plus caricaturale qui soit. Je ne suis pas gêné par les clichés permanents sur les hommes violents ou la morale cynique du film. Je ne suis pas gêné par les rires gras de méchants des méchants. Je ne suis pas gêné, j’aime même, les intonations surjouées d’Eva Green et cette présence oppressante, sexuelle – assumée comme telle par le réalisateur. Je ne suis pas gêné par le sexisme ambiant du film. Je ne suis pas gêné par la beaufitude ambiante du film. C’est même d’ailleurs cela qui pourrait être réussi. Faire du beau avec du laid. Faire du médiocre le réceptacle de la beauté graphique, physique, scénaristique. Rester dans du simple, du simplisme, du débile, et sortir la moelle, la vigueur, la beauté de cette simplicité. C’est le côté réac’ de Miller que j’aime dans ses comics. Faire de la caricature une couleur de la beauté.

Mais ici, c’est simplement faible, très faible. Rien n’est pensé. Tout semble tourné à la va-vite, sans réflexion. Les scénarios semblent vite écrits, vite tournés, vite montés. Cela n’enlève, là non plus, rien à l’intention du film. Quelques bonnes surprises restent, encore une fois, tout n’est pas à jeter : certains twists sont bien faits, certaines chorégraphies sont agréables à voir, certains récits, même simples, sont efficaces. Mais c’est tellement loin de l’objectif, le résultat reste décevant, ne capte jamais la magie de son modèle. Il faut peut-être que j’arrête d’aller voir des adaptations d’œuvres littéraires ou para-littéraires au cinéma.

Le seul argument que je pourrais me voir opposer est que je prends le film au premier degré, quand il devrait l’être au 10e. Mais Sin City n’est pas Machete. Il doit être plus beau, plus esthétique, plus profond qu’une simple série Z. C’est même l’inverse. Ça devrait être en apparence une série Z, et en réalité un chef d’œuvre. Comme le premier.


Conclusion logique : Sin City 2, c’est comme une ex.
Pour rester dans le thème du sexisme dans lequel le film se complaît avec toute la finesse du monde, disons que Sin City 2  me fait le même effet que de revoir une de mes ex. La personne que l’on a aimé n’existe parfois plus, et c’est ça le plus dur. Que les gens changent, que les gens vous déçoivent, c’est une chose. Mais non, ce qui est le plus difficile, c’est d’accepter que la personne en face de vous, celle que vous pensez connaître, n’existe plus, qu’elle n’est plus celle que vous avez aimée, qui vous a remué, qui vous a touché. Je ne reproche pas à Sin City 2 d’avoir « changé » ou d’être resté le même, il me rappelle simplement ce que je ne suis plus, et ce que ce film n’est plus tout à fait. Un film où un blockbuster pouvait aussi être une claque, et pas seulement visuelle. Un film où la violence pouvait encore être sourde. Un film où surligner toutes les répliques, où ventiler tous les clichés possibles était utilisé à bon escient.

Sin City 2, c’est le passé qui vient vous dire qu’il n'est plus. Et qu’il est vain de vouloir s’y replonger avec des attentes présentes. Ce n’est pas non plus désagréable. C’est la disparition d’une certaine nostalgie. Et ce n’est pas que pénible.

Sin City 2, malgré tout, est un aboutissement, comme une rupture qui n’a jamais été formulée. Il fait du bien, aussi, parce qu’il permet de prendre du recul, parce qu’il est assez innocent pour être touchant ; parce qu’il est assez médiocre pour passer à autre chose. Pour en parler au passé.

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